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moins de grands seigneurs. Il se répandit par toute l’Italie sans perdre ce caractère. A l’exception de la grande salle construite à Rome par les Barberini et de l’immense théâtre que bâtirent à Parme les Farnèse, les représentations d’opéra se donnent le plus souvent dans les salons, devant une assistance choisie. Péri fait représenter son Euridice à Bologne, en 1616, au palais Marescotti. A Rome, l’Aretusa de Vitali se joue chez Mgr Corsini en présence de neuf cardinaux et des plus nobles dames. Au chant grégorien et à la polyphonie du XVIe siècle, à ces deux formes de l’art dont l’une est universelle et l’autre encore largement collective, succède la forme, plus restreinte et comme plus particulière en tout, de l’opéra récitatif. Tandis qu’une prose du moyen âge, un motet palestrinien traduisent les sentimens de la foule, éprouvés réellement par toutes les âmes, l’opéra naissant choisit pour sujets des fictions antiques, familières seulement aux artistes et aux lettrés. Ce n’est plus une expression de l’humanité, mais de la société ; la musique y perd quelque chose de sa généralité, de sa générosité aussi. Elle se rétrécit, elle se ferme et devient, au lieu d’une fonction de la vie, un divertissement du « monde, » un art de salon, de cérémonie et de gala.


II

« Les Florentins, dit très bien M. Romain Rolland, sont les vrais ancêtres de l’opéra du grand roi. » Un Florentin, Lully, en est le père. « L’opéra de Lully nous offre un spectacle inattendu. La tragédie florentine, disparue depuis soixante ans, s’épanouit brusquement avec un éclat qu’il était impossible de prévoir. Après avoir dévié de sa route,… elle revient à son premier idéal et lui donne l’expression la plus complète et la plus logique qu’il ait reçue depuis Péri. »

Par une curieuse rencontre, cet idéal s’était préparé dans notre pays comme en Italie, à la fin du XVIe siècle : quelque vingt ans avant de se réaliser à Florence, d’où, quelque cent ans après, avec Lully, il devait nous revenir. Charles IX, « ce Florentin, d’un caractère distingué et passionnément artiste, adorait la musique ; sa mélancolie s’y plaisait[1]. » Il avait réussi à détacher Roland de Lassus de la cour du duc de Bavière pour l’attacher à

  1. M. Romain Rolland.