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Caccini, à la même époque, ne s’exprime pas autrement. Parlant des familiers de la Camerata : « Ces savans connaisseurs, dit-il, m’ont toujours engagé, par les raisons les plus convaincantes, à ne pas admirer ce genre de musique qui, en empêchant de comprendre les paroles, détruit la pensée et le vers, tantôt allongeant les syllabes, tantôt les écourtant, pour se plier au contrepoint, véritable destructeur de la poésie[1]. Ils m’exhortaient, au contraire, à suivre la manière tant louée par Platon et par d’autres philosophes, lesquels, dans les élémens de la musique, considèrent d’abord la parole, ensuite le rythme, et, en dernier lieu, le son, au lieu de suivre l’ordre inverse. Ils voulaient, enfin, que la musique, pénétrant dans l’intelligence de l’auditeur, y réalisât ces admirables effets dont nous parlent les écrivains de l’antiquité et que l’art moderne était impuissant à produire par le secours du contrepoint, alors même qu’une personne chantait seule ; car il était impossible de saisir les paroles à cause de la multitude des traits, tant sur les syllabes brèves que sur les longues et dans tous les genres de musique, bien qu’à l’aide de ces passages, les chanteurs obtinssent les applaudissemens de la foule.

« M’étant convaincu qu’une telle musique et de tels chanteurs ne procuraient d’autre plaisir que celui d’une harmonie agréable à l’oreille, l’esprit ne pouvant être frappé sans la parfaite intelligence des paroles, il me vint l’idée d’introduire une espèce de chant par lequel il fût possible, pour ainsi dire, de parler en musique[2]. »

Favellar in musica ; cosa mezzana (style moyen), qui dépasse un peu les bornes du discours familier (avanzarsi oltre ai confini dei ragionamenti famigliari), tels sont alors les termes nécessaires, mais qui suffisent. Dans le drame lyrique de Florence, à cette époque, il y a de l’élocution et de la déclamation, de la prosodie et de la phonétique, plus que de la musique ou seulement de la mélodie. Tout ce qui concerne la parole est prévu et réglé. On sait comment se note la moindre exclamation, qu’elle soit de plaisir, de langueur, ou d’effroi. Doni signale dans l’Euridice de Péri des modèles de l’interjection douloureuse, de l’interrogation, qu’il n’est pas nécessaire, dit-il, de terminer par une blanche ; la noire, plus vive, convient mieux. C’est pour ne pas couvrir la parole que l’orchestre, si modeste qu’il soit, est

  1. Laceramento della poesia.
  2. Préface des Nuove Musiche ; traduction Gevaert, loc. cit.