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les souvenirs antiques, durent le comparer plus d’une fois à Smerdiès, cet autre chanteur « à l’abondante chevelure bouclée, que la Grèce avait jadis été chercher jusque chez les Thraces Cicons[1]. »

Chanteurs admirables tous deux, Péri et Caccini furent plus encore et mieux que des chanteurs. On ne se contentait pas de chanter chez le comte Vernio : on y raisonnait à l’infini des choses de la musique (infiniti ragionamenti della musica). « Au temps, écrit Caccini, où brillait à Florence la noble Académie du très illustre seigneur Giovanni Bardi (des comtes de Vernio), j’assistais fréquemment à ces réunions, hantées non seulement par une partie de la noblesse, mais aussi par les plus grands musiciens, les hommes les plus distingués, les meilleurs poètes et philosophes de la ville, et je déclare avoir appris davantage dans ces doctes entretiens, que par trente années d’études consacrées au contrepoint[2].

On voit ici le premier trait de la conception de la musique, telle que la Camerata la renouvelait de l’antiquité. Ce trait en est pour ainsi dire la généralité : l’extension de l’idée et de la nature de la musique plus loin et à d’autres objets que la musique elle-même. Caccini, comme l’a très bien dit M. d’Annunzio dans son dernier roman, « Caccini enseignait qu’à l’excellence du musicien ne doivent pas concourir seulement les choses particulières, mais toutes les choses ensemble[3]. » Cela est proprement la théorie grecque, celle que le même Caccini reprenait encore et dont il s’appropriait le vaste symbolisme et les analogies supérieures, lorsque, à la fin de sa préface, il se flattait de découvrir dans sa musique bien-aimée « un reflet direct de l’éternelle harmonie céleste, d’où découlent tant de biens sur la terre » et la préparation de nos intelligences « à la contemplation des jouissances infinies qui nous attendent dans le ciel[4]. »

Un second trait de l’idéal gréco-florentin fut la pure intellectualité de la musique, ou du moins la prédominance reconnue dans la musique à l’élément intellectuel. On se piquait alors de faire une grande place, — la plus grande même, — à la raison,

  1. Taine.
  2. Caccini, préface des Nuove Musiche ; traduction de M. F.-A. Gevaert (Annuaire du Conservatoire royal de Bruxelles, 1881).
  3. « Giulio Caccini insegrnava che all’ eccellenza del musico non servono sole le cose particolari, ma tutte insieme le cose. » (Il Fuoco.).
  4. Préface des Nuove Musiche (trad. Gevaert).