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et malheureuse princesse, dont les infortunes, dont les droits pouvaient, à la rigueur, aux yeux de juges indulgens, faire excuser l’oubli de tout le reste. Et voilà que cette princesse renversait elle-même la statue idéale qu’il avait érigée au péristyle de son œuvre pour faire apparaître, aux dépens de son panégyriste, la légèreté égoïste qui décidait souvent de sa conduite !

L’amertume qu’il en ressentit ne fut pas moins grande que légitime et, dans des lettres à Moretus du 24 août, du 2 septembre et du 6 octobre 1638, elle s’épancha avec une rudesse qui ne s’arrêta pas devant l’irresponsabilité dont jouissait alors le caractère royal.

La fortune lui réservait, pour le consoler d’un abandon qui démentait tout ce qu’il avait écrit et se jouait de tout ce qu’il avait fait, une fin de carrière qui a manqué à de plus dignes. La façon dont il fut accueilli en France, quand il y revint en 1643, indique qu’on ignorait ou qu’on feignait d’ignorer qu’il s’était fait le rédacteur des manifestes de la maison d’Autriche, qu’il était devenu sujet de l’Espagne. On ne voulut voir en lui qu’un adversaire et une victime de Richelieu, dont la mort amenait une détente universelle et une réaction assez puissante pour que le nouveau gouvernement, tout en restant fidèle à la politique du grand ministre, comptât avec elle. Mathieu de Morgues obtint la restitution de ses bénéfices, mit sa plume au service de Maznrin contre les Impériaux et les Frondeurs, jouit de la bienveillance d’Anne d’Autriche, se livra à la prédication et à la composition d’ouvrages d’édification, et se retira aux Incurables où il mourut au mois de décembre 1670, à l’âge de quatre-vingts ans, entouré d’une considération qui s’adressait à la fois à sa science, à son talent et, ce qui semble plus étrange, à son caractère. Destinée dont l’événement le plus intéressant pour nous, à savoir la transformation du secrétaire obséquieux et du publiciste officieux en libelliste acharné, nous dérobe en partie son secret ; personnage ambigu, sur la moralité duquel on éprouve quelque hésitation à se prononcer, pamphlétaire sans vergogne, ecclésiastique zélé et respectable ; œuvre indigeste et rebutante où l’animosité n’est tempérée et éclairée par aucune mesure, aucun discernement, aucune vue d’ensemble, aucune doctrine personnelle, où la grossièreté délasse seule de la fatigue, où ne manquent pourtant ni la force et la vigueur, ni un certain esprit laborieux, ni certains détails historiques dignes d’attention, mais dont le principal