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cela lui nuira peu auprès de cette classe nombreuse de lecteurs qui cherche dans la polémique moins les doctrines qu’elle met aux prises que les personnalités et les diffamations qui en sont l’assaisonnement habituel. Il faudra, pour plaire à ces lecteurs, que le pamphlétaire leur parle leur langage, qu’il sache saisir le ridicule, le répandre dans des portraits poussés à la caricature, dans de malicieuses anecdotes, qu’en émouvant parfois, il amuse plus souvent encore. Il faudra que le boutiquier, le procureur lui sachent bon gré de lui montrer l’envers d’un ministre, d’un lieutenant général, les dessous des grandes affaires, de façon à leur persuader ce qu’ils soupçonnaient déjà, à savoir qu’un ministre et un lieutenant général ne sont guère supérieurs à un boutiquier et à un procureur, et que les affaires d’État ne différent pas beaucoup des affaires de sa boutique et de son étude.

Théologien, bel esprit, prédicateur de cour, froid panégyriste, l’abbé de Saint-Germain paraît encore moins fait pour devenir un pamphlétaire populaire qu’un polémiste politique de haute portée. Avec lui pourtant, comme avec beaucoup d’humanistes, de lettrés, de savans du XVIe siècle et du commencement du XVIIe, il faut prendre garde à une chose, c’est qu’à la science étendue, variée et pédantesque, à la rhétorique ambitieuse et froide s’associent, chez ces disciples de la Renaissance qui n’ont pas répudié l’héritage du moyen âge, une gaillardise naturelle ou étudiée, le sens de la réalité triviale et comique, le goût et quelquefois le talent de la raillerie et de la gauloiserie. Les hommes les plus graves, savans, jurisconsultes, théologiens même, se laissaient aller aux échappées d’une bonne humeur parfois un peu lourde, souvent licencieuse, souvent aussi d’une gaieté franche et de bon aloi. Sans remonter aux maîtres de cette littérature, à Rabelais, à Noël du Fail, à Henri Estienne, et pour ne pas sortir des contemporains de Mathieu de Morgues, qui ne pense de suite aux Etienne Pasquier, aux Pithou, aux Gillot, aux Pierre de Lestoile ? Mathieu de Morgues était de la même famille. Il n’en était pas certes l’un des membres les plus prime-sautiers, les plus originaux. Il ne faut lui demander ni la détente morale ni l’entrain réconfortant que procurent les modèles du genre et qui découlent chez eux de la sérénité de l’esprit, d’une philosophie « confite au mépris des choses fortuites, » de l’expansion d’une bonne santé intellectuelle. Son esprit est trop flétri par la vie, trop aigri par l’ambition déçue, par d’acres rancunes, trop