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obstacle évident à l’accomplissement de certains devoirs internationaux.

Le mot « humanité » prend, dans les langues latines, deux acceptions différentes : c’est à la fois la collection des êtres humains et l’expression d’une certaine bienveillance qu’ils se doivent les uns aux autres dans toutes les circonstances de la vie. Il est beau qu’un seul mot désigne ces deux choses, et cela nous paraît si naturel que nous n’y prenons pas garde.

Les philosophes de l’antiquité païenne enseignaient déjà que notre première tâche est de resserrer le lien naturel en fortifiant l’union du genre humain ; que l’homme traître envers l’humanité manque à son devoir comme le citoyen traître envers la patrie : que la charité (caritas generis humani) est la plus haute expression de l’honnête[1]. Ce n’est point d’ailleurs une morale propre aux Occidentaux, car les livres sacrés des Chinois prêchent aussi la charité. Mais, comme ces maximes sont, à leurs yeux, dépourvues de tout caractère pratique, ils ne cherchent pas à s’y conformer. Elles répugnent d’ailleurs à leur férocité naturelle.

Tous les publicistes qui ont soit habité, soit visité la Chine : M. Pierre Leroy-Beaulieu ; le docteur Matignon, médecin de la légation de France à Pékin ; M. Bard, ancien président du conseil d’administration municipale de la concession française à Changhaï, etc., s’accordent sur ce point : la bonté, l’altruisme, la reconnaissance sont, pour les Célestes, des mots vides de sens ; ils assistent aux souffrances de leurs semblables, sans les plaindre, que dis-je ? ils savourent habituellement ces douleurs en fins connaisseurs, en artistes délicats ; d’autant plus satisfaits que le sang coule goutte à goutte, que le supplice est plus lent et plus raffiné[2]. Le pauvre, suivant le même instinct, tue sans sourciller, quand bon lui semble, son nouveau-né, puis le jette dans la rue ou même l’offre encore vivant, dans un panier, aux chiens et aux pourceaux qui parcourent les voies étroites des grandes villes. Je parlerai bientôt des atroces châtimens infligés par les tribunaux. Il n’existe pas dans l’histoire du monde un plus abominable martyrologe.

Transportons par la pensée de telles mœurs et de telles habitudes dans la sphère des relations qui unissent la communauté des États : il devient très difficile d’inculquer à de tels hommes

  1. Cicéron, De Officiis, III, 5 ; de Finibus, III, 3 v. etc.
  2. Voyez le Correspondant du 25 juillet 1900.