Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/542

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mêmes l’être moral, le mensonge est le mensonge. Sauver les apparences n’est qu’un raffinement dans la perfidie, une aggravation dans la déloyauté. C’est ce que l’histoire de la politique extérieure chinoise, depuis soixante ans, démontre jusqu’à l’évidence. Quelques journalistes se sont étonnés de la grande circonspection avec laquelle les représentans des puissances alliées recevaient les ouvertures du vice-roi Li-Hung-Chang et de l’extrême défiance avec laquelle ils entendaient vérifier l’authenticité de ses pouvoirs. Cet étonnement ne se fût pas manifesté s’ils avaient étudié d’un peu plus près l’histoire diplomatique de la Chine à partir de 1840.

Pendant le cours des longs pourparlers qui précédèrent le traité de Nankin (1842), les représentans du Céleste-Empire se fussent exposés aux pires disgrâces s’ils n’avaient passé leur temps à tromper tout à la fois les étrangers et l’Empereur. Ils s’acquittèrent de cette double tache avec le plus grand zèle. Toutefois l’Empereur, auquel on cachait le plus possible les revers de ses troupes, taxait promptement ses délégués de faiblesse ou de lâcheté. Lin, son premier haut commissaire à Canton, fut, au bout de quatre mois, accablé de reproches et révoqué : mis à l’écart, il eut le courage d’écrire au Fils du Ciel que les Célestes ne pouvaient pas combattre les Anglais sur mer, donnant par-là même, aux yeux de son maître, un suprême témoignage de son imbécillité. Son successeur, Keschen, était tout d’abord obligé de négocier un armistice, car il fallait avant tout éloigner de la capitale une escadre anglaise qui s’était présentée à l’embouchure du Peï-ho. Ce Keschen opéra des prodiges : il se fit accorder délai sur délai, obtint que l’escadre anglaise retournât vers le Sud à quatre cents lieues de Pékin, conclut avec une insigne mauvaise foi des armistices qui permirent au gouvernement chinois de pousser ses armemens et de concentrer ses forces, mais finit par être contraint de signer un traité préliminaire qui stipulait une indemnité de six millions de piastres, cédait l’île et le port de Hong-Kong à la couronne d’Angleterre, etc. Il fut désavoué comme son prédécesseur, mandé, tancé, remplacé. L’Empereur nomma le général Yischen « grand pacificateur des rebelles » et lui écrivit en ces termes : « Je suis le souverain légitime de tout l’Empire, et il n’y a pas un seul pied de terrain, un seul habitant de la terre centrale qui ne soit ma propriété absolue. Keschen a pris sur lui de céder Hong-Kong : que cette mesure retombe sur sa