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cipitée, je le tenais dans mes bras… Il savait que j’avais tout vu, tout… Ah ! Si je ne suis pas morte d’émotion, à ce moment-là, c’est que vraiment, on a des forces pour tout supporter…

— Mais que t’a-t-il dit ? interrogea d’Andiguier : — Tu prétendais tout à l’heure que tu ne savais pas ce qu’il y a entre vous. Tu le lui as demandé pourtant, à ce moment-là ? Il a bien fallu qu’il te répondît ? Que t’a-t-il répondu ?…

— Et que vouliez-vous qu’il me répondît ? fit Éveline. Il m’a menti… Il a nié, nié l’évidence… Ces lettres ? C’étaient des lettres en retard, ou des billets d’affaires. Il se sentait pris d’insomnie. Il avait réglé sa correspondance… Ce revolver ? Il se trouvait dans le tiroir. Il l’avait vu et les balles à côté, et, comme il lui arrive quelquefois de rentrer tard et toujours sans armes, il s’était dit qu’il ferait bien mieux le soir, de prendre sur lui ce pistolet, et afin de ne pas l’oublier, il avait voulu le charger tout de suite et le placer en vue sur sa cheminée… Son trouble, quand j’étais entrée dans la chambre ? Je l’avais effrayé avec mon cri. Il s’était dit que, si je voyais l’arme, j’aurais des idées folles, celles que je lui montrais, justement, et alors il avait voulu cacher le pistolet… Que rien de tout cela ne fût vrai, sa pâleur le révélait trop, et son regard, et toute son attitude. Ah ! ce que je lui ai dit alors, et avec quelles larmes !… Que je l’adjurais, que je le suppliais de me parler avec vérité, que je voulais savoir, que j’avais le droit de savoir le motif d’une pareille résolution ! Que j’étais prête à tout accepter, tout, excepté de l’avoir vu devant moi se préparer à mourir et de ne pas savoir même pourquoi !… Et toujours cette même réponse, comme à une enfant malade, — ce : Vous vous trompez, vous vous trompez, — qui, à un instant, m’a rendue folle… Je n’ai plus su ce que je faisais. Je me suis élancée. J’ai pris l’arme qu’il venait de charger et, avant qu’il n’eût pu m’empêcher, je l’avais tournée contre moi-même, en lui disant : Alors, c’est moi qui vais mourir… Il me saisit le bras, juste au moment où je pressais sur la gâchette. Le coup partit sans m’atteindre. La balle s’était perdue dans une des tentures. Cette détonation nous fît rester immobiles une minute, l’un en face de l’autre. Instinctivement, nous écoutâmes. Heureusement nos gens dorment à un autre étage. Le bruit n’avait réveillé personne… Mes nerfs, à ce moment-là, me trahirent, et je me laissai tomber en pleurant dans les bras de mon mari, qui m’emporta jusqu’à ma chambre. Il me força de me recoucher, et,