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ses yeux, s’étonne de l’apercevoir si près, — si près et si loin ! Le marcheur essaie alors de mettre les choses à leur point et de situer les étapes, allègres ou pénibles, de sa montée. D’Andiguier aussi les recherchait, les étapes de son ancien chemin, et il les retrouvait les unes après les autres, avec le progrès que chacune avait marqué dans ce pèlerinage d’amour, terminé au seuil d’un tombeau. Hélas ! dès la première de ces étapes, vers quel but marchait-il ? Est-ce qu’il l’avait su ?… Ce qu’il savait, c’est qu’il eût tout donné, toutes les gouttes de son sang, tous les trésors de son musée, pour revivre une seule de ses heures d’alors, les douloureuses, comme les heureuses. Oui, qu’elles lui semblaient proches, et qu’elles étaient loin !… N’était-ce pas hier qu’il était allé voir les Montéran, à leur retour d’Italie, hier qu’Antoinette était venue chez lui, pour la première fois, avec son père, visiter sa galerie ? Ah ! que les vieux tableaux et les vieilles sculptures avaient resplendi de jeunesse, ce jour-là !… N’était-ce pas hier, qu’après avoir nourri une folle espérance qu’au dernier moment ce détestable mariage ne se ferait pas, il y avait assisté, perdu dans la foule, derrière un des piliers de cette église Sainte-Clotilde, où il n’entrait plus, même aujourd’hui, sans un serrement de cœur ? Une musique triomphante la remplissait, tandis qu’Antoinette marchait à l’autel au bras de son père. Qu’elle était belle dans sa toilette de mariée, le front haut sous les fleurs, le regard sérieux, avec quelque chose de si fier, de si résolu dans sa pâleur ! Et, quand il l’avait saluée à la sacristie, elle avait eu pour lui, au lieu du sourire d’amabilité distante qu’elle avait pour tous, un regard singulièrement dur, presque impérieux, comme pour lui rappeler leur dernier entretien, au bord du lac de Côme, et lui ordonner, une fois de plus, l’oubli de ce qu’il avait deviné. Et il avait détourné ses yeux à lui, pour qu’elle n’y vît pas ses pensées, — bouleversé d’une espèce d’admiration et de terreur devant cette fille qui se vendait ainsi, — pour ses parens, mais c’était se vendre tout de même. Ce sacrifice, il le savait, lui déchirait l’âme, et personne, pas même lui, ne pouvait saisir, dans cette physionomie si jeune et qui semblait si transparente, une trace de son secret martyre… N’était-ce pas d’hier aussi que, rentrée à Paris, et s’occupant d’installer l’hôtel que son mari avait acheté rue de Lisbonne, Antoinette avait laissé Philippe s’insinuer dans son amitié, chaque semaine, chaque jour un peu davantage ? Il avait mis toutes ses connaissances d’amateur d’art