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LE FANTÔME.

Toute femme, dans une pareille circonstance, agit de même. Elle commence par se défier de cet homme qui a surpris ce qu’elle voulait cacher. Même quand elle a acquis la certitude qu’il ne parlera pas, elle appréhende qu’il ne se fasse un droit de sa discrétion, qu’il ne se permette d’être plus familier avec elle que ne le comportent leurs rapports officiels, qu’il ne la questionne surtout, qu’il ne touche à des portions réservées, douloureuses parfois, de sa vie intime. Mais, si elle constate au contraire chez lui un désir de se faire pardonner sa découverte, une peur de froisser celle qui est un peu à sa merci, presque un remords de le pouvoir, c’est de la part de cette femme, quand elle est fine, un de ces jolis mouvemens de cœur comme elles en ont toutes, quand elles se sentent vraiment comprises, un élan de reconnaissance bien voisin de l’amitié. Cette évolution de la méfiance, presque de la rancune, vers une gratitude attendrie, Philippe d’Andiguier put du moins la suivre, dans les yeux, dans la voix, dans toutes les manières d’Antoinette, et ce sentiment d’un progrès silencieux, mais sûr, dans la sympathie de la jeune fille, fut la poésie inoubliable de ces huit jours, l’attrait aussi qui acheva de le rendre éperdument amoureux. Il se rappelait combien, durant les premières quarante-huit heures de cette étrange semaine, il avait été troublé du visible parti pris qu’elle avait eu de ne pas le laisser approcher d’elle. Sans que ses yeux se détournassent, sans qu’elle eût l’air irritée contre lui, elle avait une façon de ne pas le voir, de ne pas l’écouter, qui, vingt fois, lui fit prendre la résolution de partir par le prochain train. Il avait su, par une phrase incidente du père, qu’elle avait demandé à changer de chambre. « J’ai tout mérité, » s’était-il dit, en apprenant cet affront. Puis, avec quel étonnement avait-il constaté que cette attitude d’hostilité se modifiait, comme si Antoinette lui avait su gré de quelque chose ! Avec quel intérêt ému il avait commencé de causer un peu avec elle, d’abord en tiers, et, une après-midi qu’ils visitaient tous ensemble le parc d’une des villas de l’autre côté du lac, seul à seul !…

Ce souvenir, de nouveau, se faisait distinct comme la réalité même. Quand Philippe songeait à ce lointain passé, les années s’abolissaient toujours, et cette après-midi, la première après leur rencontre, où il y eût eu entre eux un commencement d’intimité, lui redevenait absolument présente. Il apercevait une longue allée de chênes verts, avec des statues debout, de place en place,