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générations que le travail de la pensée n’avait pas épuisées. Du moins Pasteur aimait à dire qu’il devait beaucoup à cette hérédité. Le jour où fut posée une plaque commémorative sur sa maison natale, il s’écriait : « Oh ! mon père et ma mère, oh ! mes chers disparus, qui avez si modestement vécu dans cette petite maison, c’est à vous que je dois tout. Tes enthousiasmes, ma vaillante mère, tu les as fait passer en moi. Si j’ai toujours associé la grandeur de la science à la grandeur de la patrie, c’est que j’étais imprégné des sentimens que tu m’avais inspirés. Et toi, mon cher père, dont la vie fut aussi rude que ton rude métier, tu m’as montré ce que peut faire la patience dans les longs efforts. C’est à toi que je dois la ténacité dans le travail quotidien. » Chaque année, il se plaisait à venir passer les mois de vacances dans ce pays du Jura qui était le sien, dont les aspects lui étaient familiers, auquel il tenait par toutes les fibres de son cœur. Aussi lorsque éclatèrent les malheurs de l’année terrible, Pasteur eut l’âme déchirée. Nul n’avait plus que lui admiré l’Allemagne pour son mouvement intellectuel, pour le labeur opiniâtre et fécond de ses savans. Récemment, lorsque l’Université de Bonn lui avait décerné le diplôme de docteur en médecine, il s’était montré fier de cette distinction. Maintenant la vue de ce parchemin lui était odieuse, et il le renvoyait au doyen avec une lettre frémissante d’indignation : « Tout en protestant hautement de mon profond respect envers vous et envers tous les professeurs célèbres qui ont apposé leur signature au bas de la décision des membres de votre ordre, j’obéis à un cri de ma conscience en venant vous prier de rayer mon nom des archives de votre Faculté. » En présence des désastres qui se multipliaient, il ne se résignait pas à la pensée d’accepter la défaite, mais il croyait que pour les vaincus, il reste encore une chance de salut dans le désespoir d’une lutte à outrance. « Je voudrais que la France résistât jusqu’à son dernier homme, jusqu’à son dernier rempart ; je voudrais la guerre prolongée jusqu’au cœur de l’hiver, afin que, les élémens venant à notre aide, tous ces vandales périssent de froid, de misère et de maladie. » Il fallut bien s’incliner devant les faits et subir la force brutale. Le temps apaisa cette vivacité de colère ; il n’emporta ni la tristesse ni le souvenir. Jusqu’à la fin la blessure continua de saigner.

C’est enfin un trait souvent observé chez l’artisan des campagnes qu’une certaine gravité de caractère qui consiste à traiter la vie sérieusement, à prendre les choses pour ce qu’elles sont, à donner aux faits toute leur valeur réelle, aux mots tout leur sens. L’ironie est assez bien une élégance de l’esprit des villes. Nul ne fut plus que