Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/44

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
40
REVUE DES DEUX MONDES.

Longboyau se dressait toujours, défiait tous les assauts. Ligne, mobiles, et ces mobilisés si suspects avaient rivalisé de courage. Le colonel de Rochebrune, le vieux marquis de Coriolis, le peintre Henri Regnault, l’explorateur Gustave Lambert, quantité d’officiers et de gardes nationaux tombaient, prouvant assez haut quelles ressources on avait jusqu’alors méprisées. Au centre, Bellemare était toujours arrêté devant la ferme de la Bergerie ; Vinoy, sans canons, immobile à Montretout, sous une pluie d’obus. On se fusillait à bout portant. Une lassitude, d’un bout à l’autre de la ligne, paralysait l’armée. On avait pu, au petit bonheur, à coups d’efforts désunis, s’emparer du bord du plateau. L’élan mourait là. On aurait tout juste assez de force pour se maintenir, repousser les Prussiens, qui à leur tour fonçaient.

Martial, à présent, n’espérait plus. Les visages autour de lui marquaient l’accablement sans bornes. Thérould s’était tu ; le chapelier matelassé hochait la tête ; il ne regrettait pas sa précaution ; les couvertures du moins lui tenaient chaud. Martial n’écoutait plus que comme un écho monotone ce bruit des mille détonations dont le tressaut lui avait fait toute la matinée battre le cœur. Il en avait assez, repris de l’habituelle nausée. Puisqu’on ne voulait pas de lui, vite, qu’on s’en allât. Des débandés longeaient les routes, à toutes jambes. La nuit venait. En arrière, les canons de Vinoy, embourbés, inutiles.

Cinq heures et demie. C’est le moment où, bien que l’attaque prussienne eût échoué, de Buzenval à Saint-Cloud, la bataille exténuée finissait d’elle-même. Les ténèbres s’épaississaient sur l’inextricable cohue, ces milliers d’hommes agglomérés dans un si petit espace. Vinoy chancelant à Montretout, les soldats de Bellemare se tirant dans le dos les uns aux autres, ceux de Ducrot à bout de forces, Trochu ordonnait de commencer la retraite. Seules les troupes de la droite, composées d’élémens plus solides, se repliaient avec assez de calme.

Martial, à la Briqueterie, assistait à une débandade sans nom. À peine le recul décidé, le reste de l’armée, sans attendre d’autres indications, s’ébranlait en une volte-face subite. Oubliant à la villa Zimmermann le commandant de Lareinty et ses mobiles, la colonne de gauche, mêlée à celle du centre, se précipitait à la faveur de l’ombre ; vers la Briqueterie et la Fouilleuse un torrent refluait, hagard, rué dans une panique sauvage. Sur toutes les pentes, des mobiles dévalaient, déchargeant leurs fusils,