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Après trente ou quarante kilomètres de lacets au ras du rivage, puis dans une région maigre, incertaine, qui commence le delta intérieur du Magdaléna, le train siffle, s’arrête. Un flot de constructions grises lèche, comme une écume, l’extrémité de la voie ferrée. Il s’environne de bois clairs et légers, d’une végétation épineuse, rabougrie, que semble engendrer malingrement cette terre tarie et pulvérulente, sentant le gravât et la soif. Il n’en faudrait pas beaucoup plus pour provoquer déjà quelques déceptions, quelques moralités empruntées aux bâtons flottans. De loin, c’était une telle impression d’oasis aimable ! Pourtant, à cette salissure humaine, à ce ravage sans pittoresque, à cet effort d’installation jeté vaille que vaille sur un sol revêche, finit par succéder, à mesure qu’on y pénètre, la vraie ville sud-américaine moderne, banale et trop jeune, préoccupée seulement de commerce, d’industrie, de relations maritimes, créée par la force de la nécessité, sous la poussée économique du riche pays qui y débouche. En somme l’agglomération invariable de maisons à l’espagnole, toits plats, façades aux couleurs tendres, fenêtres grillées, et qui se juxtaposèrent depuis quarante ans autour du quai naturel offert, si près de son embouchure, par le majestueux Magdaléna. Mais tandis que le voisinage du fleuve attire sur la gauche les quartiers plus confortables, la ruche humaine s’épand souffreteuse vers la plaine de droite en confusion de cahutes de paille, de pauvres logis disséminés sur la campagne roussâtre, — de plus en plus pauvres et de plus en plus disséminés jusqu’aux cimetières, jusqu’à ces zones de campemens vagues, enterrés dans le gravier et dont la vue forme une préparation naturelle aux leçons de choses de l’auberge des morts.

La poussière, voilà l’ennemie de Barranquilla, de même que la voirie en est le point faible ; à pas muets dans le sable, dans ce sable atroce, rougeâtre, que le vent emporte en tourbillonnant, arène de coraux et de calcaires, gens et choses circulent, ralentis. Et cette marche est très pénible, très pesante sous la lumière qui darde.

Mais, la revanche éternelle de la couleur ! Vienne le soir et tout ce flot de bâtisses jaillies de la cendre blanche va s’illuminer de teintes mourantes d’une suavité infinie, baisers du soleil au front de sa fille qui s’endort. Et tous les vieux murs de chaux jadis laiteux, marbrés perpendiculairement de suies noires, et les pans de briques jaunâtres, et ceux d’un rouge passé, et les rues