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bien encore, peut-être, Henri Heine ne pardonnait-il pas à Novalis d’être le plus chrétien des poètes allemands, celui d’eux tous qui, suivant l’expression du romancier réaliste Théodore Fontane, « a exprimé avec le plus de vie et de profondeur l’aspiration des âmes vers la Croix ? » Comme la sœur de la maîtresse de poste, Novalis ne croyait pas que la mort nous détruisît tout entiers : là était, en vérité, leur seule ressemblance ; mais c’est elle, sans doute, qui aura suffi à l’Hellène de Dusseldorf pour associer dans un même mépris leurs deux souvenirs.

Fort heureusement, d’ailleurs, Henri Heine s’exagérait la portée de sa critique, lorsque, dans l’épilogue de son Allemagne, il parlait de ses « campagnes exterminatrices contre le romantisme, » et se vantait « d’avoir porté à la poésie romantique allemande les coups les plus mortels. » Ces « coups » ne paraissent pas, en tout cas, avoir nui le moins du monde à la renommée de Novalis ; car celle-ci reste aujourd’hui plus vivante, plus fraîche que jamais. D’un bout à l’autre du siècle qui s’achève, depuis Schleiermacher jusqu’à Théodore Fontane, tous les écrivains allemands se sont accordés à lui rendre hommage. L’influence de Novalis s’est fait sentir dans les domaines les plus divers de la pensée allemande. Elle a créé, pour ainsi dire, une forme nouvelle de l’ancienne sensibilité nationale, un état romantique foncier et constant, dont on chercherait vainement la trace au XVIIIe siècle, et qui, désormais, survit à toutes les variations des écoles et des genres. Plus que l’influence de Weber et plus que celle de Schopenhauer, c’est l’influence de Novalis qui se retrouve au fond de l’art wagnérien : choix des sujets, doctrine artistique, procédés pratiques, tout le drame de Richard Wagner est comme pressenti dans les Fragmens du poète-philosophe. Et lorsque, après un effort obstiné de près d’un demi-siècle, l’Allemagne a enfin reconnu l’impossibilité, pour elle, d’échapper à ce romantisme qui est sa nature même, vers aucun de ses poètes d’autrefois elle ne s’est retournée aussi volontiers que vers l’auteur d’Henri d’Ofterdingen et de l’Hymne à la Nuit. C’est au nom de Novalis que, depuis deux ou trois ans, la jeune critique allemande proclame la faillite définitive du naturalisme, et présage l’avènement d’un esprit nouveau.

Étrange et enviable fortune d’un poète mort à vingt-neuf ans, et qui n’a, en quelque sorte, laissé que des ébauches ! Car de son