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Langage dangereux, par ce qu’il dit et par ce qu’il ne dit pas. Un de nos hommes d’Etat se vit reprocher naguère, et fort cruellement, un de ses argumens de plaidoirie : il lui était échappé de dire que le constructeur de la Tour nous avait fait « l’aumône d’un peu de gloire. » Excusable au Palais dans la bouche d’un avocat, cette hyperbole serait fort déplacée dans les enseignemens qui tombent d’une tribune officielle. Et pourtant, qu’a-t-on dit autre chose, depuis six mois, dans tous les dithyrambes sur lesquels enchérissaient des échos complaisans ? Le moindre inconvénient de ces exagérations est d’appeler sur nous la risée des étrangers. Ils auront beau jeu à reparler de notre insupportable vanité ; les moins bien disposés se réjouiront de nous voir hypnotisés dans une erreur si funeste. Tous les Français ne la partagent pas, que les étrangers le sachent bien. Tous, nous sommes heureux d’avoir montré à nos hôtes qu’il se fait de bon travail en France, qu’on y a du goût, de la bonne grâce, de la courtoisie à leur service ; mais nous n’ignorons point que nous devons nous demander à nous-mêmes d’autres efforts, d’autres actes, d’autres preuves d’énergie, pour reconquérir notre ancien rang, qu’ils nous disputent. Et c’est là ce dont il faudrait persuader tous nos concitoyens.

Une Exposition renseigne sur la puissance de travail d’un pays, sur la qualité de ce travail, sur certains dons de l’esprit national. Autant de belles et bonnes choses. Les vertus dont elle témoigne sont parmi les plus honorables, les plus nécessaires à la santé morale d’un peuple. Encore ne peut-elle rendre manifestes ni les plus sublimes opérations des sciences, dont elle n’exhibe que les applications, ni les plus pures créations de l’intelligence. On n’y verra nulle part l’élan lyrique d’un Victor Hugo, l’intuition d’un Pasteur dans son laboratoire, la pensée d’un Taine dans son cabinet. A peine si quelques initiés y chercheront, sur les chiffres glacés d’une statistique, les miracles accomplis chaque jour par la charité. Mais ce qu’on ne peut jamais voir dans « les grandes assises du travail et de la paix, » ce sont les aptitudes et les vertus qui assurent la protection du travail, la conservation de la paix : héroïsme du soldat, résolution du politique, action quotidienne et vivante de tous ceux qui servent les intérêts du pays. Ne laissez pas croire aux citoyens que leur patrie est assez grande lorsqu’ils ont fait une journée fructueuse à l’atelier !