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ne s’était pas rencontré qui eût réalisé, sur les terre-pleins du Champ-de-Mars, la bacchanale menée sur les frontons par toutes ces dames en staff. Cette indigence de gaieté ne devint sensible à tous que du jour où l’on essaya d’y remédier. Des commissions s’assemblèrent, des hommes graves y apportèrent des projets d’amusement. La foule injuste a-t-elle compris que ces conciliabules étaient d’une gaieté très supérieure à toutes les fêtes qui en sortiraient ? En 1870, le siège de Paris avait fait naître ce type de maniaque obsidional, l’inventeur d’engins destructifs. Les cartons du général Trochu s’emplirent de plans où l’armée assiégeante était exterminée par les feux grégeois et les picrates. Nos Expositions font surgir un type similaire, l’inventeur assuré de réjouir ses contemporains, celui qu’on pourrait appeler le festoyeur. Il sait l’antiquité, l’organisation des cortèges et le pouvoir des fanfares. Espérons qu’on publiera tous les projets soumis à la Commission des fêtes. Hélas ! Flaubert ne sera plus là, pour enrichir Bouvard et Pécuchet de cet appendice.

La multiplicité des perceptions supplémentaires et leur taux relativement élevé fut une autre cause de refroidissement pour le public. Une visite complète de l’Exposition était trop chère. A cet égard, il n’y en eut jamais de moins démocratique. Prévenus qu’ils seraient dévalisés, les visiteurs ont serré les cordons de leur bourse. De là les déboires et les plaintes que l’on sait. Ici, chacun a sa part de responsabilité ; l’administration, qui avait concédé les terrains à des prix exorbitans ; les concessionnaires, qui rêvaient de faire fortune en six mois. Un entraînement général, explicable par la grandeur des espérances, a forcé sur ce point encore le caractère qu’il convient de maintenir aux Expositions. Nul ne prétendra qu’elles nous doivent des enseignemens désintéressés ; l’exposant compte bien gagner de l’argent indirectement, puisque sa carte d’échantillons est une réclame ; mais les précédentes exhibitions avaient contenu l’esprit de lucre dans cette limite. Cette fois, on a voulu les gains directs, immédiats ; on les a voulus avec l’âpreté de notre époque.

Toutes ces causes expliquent l’insuflisance, — disons le retard du succès. Et peut-être faut-il se contenter d’une explication plus simple ; peut-être n’y a-t-il insuffisance que dans notre imagination mégalomane. Aurions-nous trop présumé de la facilité croissante des déplacemens ? Y aurait-il pour chaque Exposition universelle un chiffre maximum de visiteurs possibles, chiffre