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Poncet retombèrent à la réalité. Malgré eux, obéissant à cet irrésistible instinct qui, au milieu des spectacles de la, mort, distrait et entraîne vers la vie que rien n’arrête, ils s’étaient laissés aller à leurs pensées d’une douleur si grande qu’elle absorbait toutes les douleurs. Le regard affectueux et grave des cousins les apaisa. Ils ne songèrent plus qu’au deuil de la maison. Louis et Marcelle, qui étaient entrés dans le salon saccagé, en sortirent. Par la porte-fenêtre ouverte, on aperçut des glaces brisées, la petite table à jeu en morceaux, et, sur le parquet, un amas de tentures lacérées. Poncet évoqua la pièce familiale, les bûches flambantes, la forme et la place habituelle des meubles, et autour de la petite table, sous les abat-jour, le vieux Jean Réal et Marceline… Louis et Marcelle se tenaient la main. À considérer avec attendrissement leurs neveux, l’expression singulièrement mûrie de leurs visages, Du Breuil et Poncet mesurèrent le siècle écoulé, depuis que le mariage d’Eugène les avait pour la dernière fois réunis à Charmont. Si les jeunes avaient vieilli, que diraient-ils d’eux-mêmes ?

À ce moment, M. et Mme Réal, traversant le vestibule, parurent. Ils s’avançaient sur le perron, Charles soutenait sa femme. Elle avait les cheveux blancs. Et lui, naguère si alerte, avec sa taille svelte, ses traits mâles et fins, il avait dix ans de plus. On fut frappé comme il ressemblait au grand-père. C’était lui, maintenant, le chef de la famille. Tous, mentalement, le reconnaissaient. Avec Gabriel le, ils incarnaient la durée de la race, les traditions du foyer, la continuité du domaine. Ils étaient l’image vivante de Charmont. Ils personnifiaient ce coin de Touraine et de France. On se serrait autour d’eux avec une émotion renouvelée, une soif d’étreintes. Gustave embrassa son frère. Amélie Du Breuil, le marin, tentaient de dire des mots de consolation à Mme Réal, qui, d’une voix étouffée, ne put que balbutier :

— Merci… merci…

Poncet, près d’Agathe, se remémorait ce jour de la fin d’octobre où, conduit à toutes guides par Henri, il avait aperçu dans ce même groupement tous les Réal et les de Nairve, sortis à sa rencontre. D’abord il avait embrassé Marie, si jolie dans sa robe blanche. Autour des deux ancêtres, c’était un beau spectacle que celui des seize parens de souche commune, la grande famille unie, si diverse et si saine, pleine de forces et de simplicité. Combien la guerre l’avait ébranchée ! Autour de Charles et de Gabrielle, devenus les vieux, il n’y avait aujourd’hui que Louis et Marcelle,