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LES TRONÇONS DU GLAIVE.

acharnée mêlait jusqu’au soir Poméraniens, chemises rouges, et mobilisés. Pouilly fut pris, repris, finalement arraché à l’ennemi. Au faubourg Saint-Martin, tant le corps à corps avait été sauvage, on retrouva, sous des tas de morts, un drapeau prussien. Kettler battait en retraite. Dijon était en fête. Une ovation triomphale accueillait Garibaldi, sa voiture était traînée à bras. Les habitans, revenus de leur courte panique, acclamaient leur sauveur. Bordone dépêchait à Freycinet des télégrammes lyriques, il avait cru voir cinquante mille Allemands. En retour, le délégué à la guerre, dans sa première émotion du succès, le félicitait de son courage et de son génie, déclarait Garibaldi décidément notre premier général, ne pensait à rien moins qu’à lui confier le commandement de Bourbaki, se faisant fort, avec cette organisation, de reprendre les Vosges !

Et pendant ce temps, l’armée de Manteuffel, au-dessus de Dijon, se hâtait toujours, précipitant vers Besançon le roulement de ses nuées noires, la menace grondante qui, chassant devant elle ce qui restait de l’armée de l’Est, allait la séparer de la France, la rejeter en Suisse.

XIX

Étendu dans son lit, à l’hôpital militaire de Versailles, où, depuis un mois, il se guérissait lentement de sa blessure du Bourget, Georges de Nairve sommeillait. Il ouvrit les yeux, revit la pièce nue aux murs vert d’eau, aux lits occupés par des officiers supérieurs allemands. La tête enveloppée de linges, très pâle, figure changée par la barbe poussée au-dessous des favoris, il était à peine remis du terrible ébranlement ; sa raison avait failli sombrer, et pendant des jours, la plaie ouverte, ce fut une longue crise, avec des délires et des abattemens. Formes troubles où, aux visages du médecin, de ses voisins de lit, se mêlaient les dernières visions du siège. Un trou brusque, un abîme le séparait de cette minute qui vers le Bourget en flammes sur son cheval fou l’emportait. Des marins bleus frappent de la crosse et de la baïonnette ; une barricade crépitante de coups de feu ; puis plus rien. Comment a-t-il été transporté là ?

Petit à petit, il était sorti du monde des rêves, avait repris notion des choses, de lui-même. Il était soigné, et bien soigné, par l’ennemi, et, ce qui ajoutait encore à sa tristesse, aux portes