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LES
TRONÇONS DU GLAIVE

DERNIÈRE PARTIE[1]


XXI

— Ferme donc ! jeta Martial, assis près du lit de Nini, à Thérould qui entrait.

Le bohème poussa la porte, pas assez vite pour empêcher qu’un souffle aigre de nuit, l’écho plus distinct du bombardement, pénétrassent. Martial, de la main, fit signe que Nini dormait ; au regard d’affectueuse interrogation, il répondit par un hochement de tête navré : le médecin venait de sortir, était inquiet. Nini, la veille, avait fait une imprudence, voulu se lever pour ranger un peu l’atelier ; mais le soir sa fièvre avait monté. Elle s’émaciait chaque jour, consumée par le mal. Ses beaux yeux marron, dans les orbites creux, semblaient s’agrandir, dévoraient le visage. Elle ne mangeait plus. La seule vue du pain fétide, plein de choses sales, lui soulevait le cœur.

Thérould s’affala dans le fauteuil Louis XIII. Le temps était loin, où, près du poêle flambant rouge, il se laissait aller à sa verve critique. Du rapin au patriotisme redondant et blagueur, il ne restait qu’un long corps funèbre ; absorbé en lui-même, il cuvait une rage que tout entretenait : l’impéritie du gouvernement, cette vie de misères, les bruits d’armistice prochain… Dans la

  1. Voyez la Revue des 1er et 15 septembre 1er et 15 octobre et du 1er novembre.