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d’un état d’anarchie prolongée inspirait le dégoût du régime nouveau. On savait que le roi Guillaume tenait son armée fortement reconstituée sur un pied de guerre, et rien ne l’empêchait (aucun armistice complètement régulier n’étant conclu) de franchir la frontière du soir au matin.

Allait-on donc voir éclater des discordes civiles, appuyées par une intervention étrangère, au moment où on se serait mis, France, Angleterre, et tout le monde à dos ? La crainte de cette éventualité redoutable pesait sur toute l’assemblée le jour où le président de la députation revenue de Paris dut faire connaître à la tribune le message dont il avait le regret d’être porteur. Aucun murmure ne s’éleva quand il fit le récit de l’accueil plein d’égards et même d’affection qui lui avait été fait. On ne l’interrompit pas davantage quand il transmit les promesses d’appui et les conseils de sagesse dont le roi des Français l’avait chargé de faire part. Mais lorsque enfin, prenant la parole en son propre nom, il conjura ses collègues des divers partis de rester unis comme ils l’avaient été pour leur salut jusque-là dans les plus mauvais jours, ce furent de toutes parts de vifs témoignages d’approbation.

La séance fut alors interrompue pour recevoir un message du gouvernement provisoire qui déclarait que, la constitution étant achevée, sa mission était terminée, et proposait de nommer une commission pour désigner à quelles mains serait confié le pouvoir exécutif, dont les attributions étaient définies. C’était, en d’autres termes, demander de pourvoir au trône encore vacant par l’institution d’une régence.

Tel fut en effet le parti très sensé auquel la presque unanimité du Congrès se rallia : ce n’était qu’ajourner et non résoudre la difficulté ; mais c’était pourtant suffisant pour ne pas laisser ouverte une plaie que l’anarchie allait envenimer.

Le choix du régent n’était pas douteux : ce fut le même Surlet de Chokier qui venait de justifier par sa conduite et son langage plein de tact, dans une circonstance si délicate, l’estime que lui avait value depuis longtemps sa réputation de sagesse. Quelques voix tinrent à rester fidèles à M. de Mérode, mais lui-même les avait repoussées d’avance, faisant ce jour-là, comme dans tout le cours de sa carrière, preuve de ce désintéressement de toute ambition personnelle qui rendait son concours inappréciable. Les révolutions seraient moins périlleuses et le bien qu’elles peuvent