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à résoudre à ceux (s’il s’en rencontre parmi mes lecteurs) qui ont eu une fois en leur vie à décider par une parole sortie de leurs lèvres entre l’honneur de leur patrie et le repos du monde.

Avec moins d’entraînement dans le caractère, et peut-être aussi plus de nuances dans l’esprit, M. Bresson aurait pu mieux comprendre et surtout ménager la délicatesse de la situation. Il aurait évité de représenter le roi comme plus converti à l’élection française qu’il ne lui convenait de l’être, et ne se serait pas en même temps exposé lui-même à un désaveu certain. Il lui aurait suffi de laisser entendre que, bien qu’ayant trouvé le roi toujours persistant dans son refus, il l’avait pourtant visiblement ébranlé par les fortes raisons qu’il lui avait données, et que tout faisait espérer qu’une élection emportée de haute lutte pourrait forcer une main déjà hésitante. Ces paroles commentées (comme elles le sont toujours par les partis, dans le sens qu’une passion désire) auraient inspiré aux partisans du duc de Nemours, assez de confiance pour resserrer leurs bataillons et les faire marcher à l’assaut. Mais la fougue naturelle à M. Bresson ne se prêtait pas à ce genre de tempérament. Interprétant à son gré l’autorisation assez élastique que le roi lui avait donnée, il se jeta à corps perdu dans les rangs des amis de l’élection française et devint le véritable inspirateur du débat qui fut soutenu par eux pendant plusieurs jours avec autant d’ardeur que de talent. Dans la foule curieuse qui remplissait les couloirs du Congrès pendant cette discussion solennelle, dans la multitude très agitée qui encombrait les portes et débordait dans les rues, personne ne douta plus, à voir agir et parler M. Bresson, qu’il avait en poche la promesse enfin obtenue du roi de se conformer au vœu de la nation belge.

Une incertitude sur le résultat final durait pourtant encore, fondée principalement sur l’attitude étrange de l’agent anglais, exploitée avec art par plusieurs orateurs considérables. Quelques-uns voulaient en conclure que le duc de Leuchtenberg, précisément parce qu’il était hostile au gouvernement français, inspirait à l’Europe moins de méfiance qu’un alter ego de Louis-Philippe : M. Bresson se résolut alors, pour enlever le succès, à risquer un coup de partie qui fut décisif.

En même temps qu’elle consommait et complétait par la déclaration de neutralité le fait désormais assuré de l’indépendance de la Belgique, la Conférence, poursuivant son œuvre, avait pris