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patronage, la main d’une des filles du roi de Bavière avec qui il avait vécu jusqu’à sa mort dans la plus touchante union. À cette haute alliance et à l’estime inspirée par son noble caractère, il avait dû de conserver dans la débâcle de 1814 une situation privilégiée et véritablement princière. Ses propriétés bavaroises avaient été érigées en duché, et lui-même gardait le titre d’Altesse Sérénissime avec une large dotation. Son fils, portant le nom de duc de Leuchtenberg, héritait de tous les avantages de cette double descendance qui le rattachait aux meilleurs souvenirs du régime impérial et lui permettait en même temps d’entretenir d’affectueuses relations de parenté avec toutes les familles régnantes.

Ce n’eût point été là, cependant, je le crois, une raison suffisante pour aller le chercher au fond de l’Allemagne, si son nom n’avait eu, pour les premiers qui le mirent en avant, le caractère tout à la fois d’une malice et d’une menace à l’adresse de la France. Rien, en effet, n’était de nature à blesser et à inquiéter autant la nouvelle royauté française que la pensée de voir élever à ses portes, de l’autre côté de sa frontière, un membre, au moins par alliance, de la famille Bonaparte, qui ne se cachait pas de vouloir lui disputer le trône. Bien que très restreint, le parti bonapartiste existait encore et avait en France des amis dévoués, ayant les yeux fixés sur le fils du grand homme, qui était encore détenu à Vienne, mais qui pouvait d’un jour à l’autre s’échapper de cette captivité assez mal gardée. Mais, de plus, dès le lendemain de l’avènement de Leuchtenberg même, quel danger ! Dans le frémissement belliqueux qui travaillait la France et que le ministère pacifique de Louis-Philippe avait tant de peine à contenir, quel effet n’aurait pas produit le spectacle du petit-fils adoptif de Napoléon parcourant en souverain le champ de bataille de Waterloo, et pouvant y donner rendez-vous à tous les compagnons d’armes de son père ! C’est une prévision qui ne pouvait pas être admise, même un instant, et personne ne dut être étonné que l’agent français à Bruxelles fût sur-le-champ autorisé à faire savoir, au besoin même publiquement, que, si le duc de Leuchtenberg était appelé par le suffrage du Congrès au trône de Belgique, la France non seulement ne le reconnaîtrait pas, mais n’entretiendrait aucune relation avec lui.

Cette déclaration était nécessaire : hésiter un instant à la faire eût été pour Louis-Philippe manquer à la dignité, comme à la