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était, rendue naturellement par-là confuse, molle et incohérente, et il n’aurait pas eu l’avantage dans la discussion, s’il n’avait vu accourir à son aide des auxiliaires qu’il n’avait point appelés. C’était d’abord M. Guizot, dont l’éloquence grandissait tous les jours, mais qui élevait tout de suite le débat à une hauteur d’où, avec le ton d’autorité qu’il avait déjà et qui ne l’a jamais quitté, il étendait sur les hésitations ministérielles un appui dédaigneusement protecteur. C’était ensuite la verve vulgaire, mais incisive, de M. Dupin, qui se plaisait à railler l’enflure déclamatoire à la mode, et défendait le principe de non-intervention en en donnant cette définition d’un égoïsme bourgeois : Chacun chez soi, chacun pour soi.

Remporté dans de telles conditions, le succès valait au ministre, ainsi tiré de peine, peu de complimens de ses collègues. Mais ce n’était rien auprès des reproches qu’il recevait, le lendemain, des journalistes auxquels il avait le tort d’ouvrir la porte de son cabinet. On peut se faire une idée du cours d’idées qui régnait dans cette presse encore restée ministérielle, quoique révolutionnaire, par le recueil des articles qu’on a conservés de celui de ces politiques improvisés qui était le plus maître de sa plume et de sa pensée, Armand Carrel. Il y établit dogmatiquement qu’en face de la malveillance déjà constatée de toute l’Europe, la guerre seule peut affranchir et réhabiliter la France, le tout avec des ménagemens affectés et des complimens épigrammatiques pour Sébastiani. Si alors, pour se délivrer des critiques trop acerbes dont il se sentait menacé, celui-ci, poussé à bout, se laissait aller à faire entendre qu’après tout, la Conférence n’était pas souveraine ; qu’elle faisait des propositions et ne rendait pas des arrêts ; et que dans la suite de la négociation, la France pourrait bien réclamer quelque compensation à son désintéressement, ces propos étaient aussitôt répétés et mis en opposition avec les protestations contraires de Talleyrand. Le commentaire était donné, à l’ambassade de Russie, avec la malveillance naturelle à l’ancien ennemi corse qui y siégeait encore ; à la légation de Prusse, avec un trouble éperdu, par le baron de Werther, aussi timoré que son maître ; et le tout, enfin, transmis à Londres par lord Granville.

De là, par le courrier suivant, venait une dépêche de Palmerston, tout heureux de trouver la preuve qu’il cherchait de la duplicité française et contenant une semonce dans le goût que