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au ministère de la Guerre mieux qu’à la présidence du Conseil. On a vu des cabinets, après avoir débuté au milieu d’une désapprobation presque unanime, dissiper peu à peu les susceptibilités, apaiser les hostilités et fournir une carrière d’une durée normale. Sera-ce le cas du gouvernement actuel ? La réunion des Cortès est prochaine, et il y a dans les Cortès une majorité conservatrice. Il ne semble pourtant pas que leur présence soit une garantie de solidité pour un ministère, et quand on a vu M. Silvela remanier laborieusement le sien, puis tomber avec lui pendant les vacances, on se prend à redouter que la situation du général Azcarraga ne soit pas plus favorable après la rentrée du parlement.


Chez nous, la rentrée prochaine des Chambres s’annonce par des discours dont le plus important reste celui de M. Millerand à Lens, et dont le plus récent est celui de M. Waldeck-Rousseau à Toulouse. Combien vide, ce dernier discours, et combien déconcertant ! On n’y trouve même plus cette forme précise et nette qui, chez M. Waldeck-Rousseau, dissimule parfois si heureusement l’hésitation de la pensée. Avouons, pour être juste, que l’épreuve à laquelle se trouvait condamné M. le président du Conseil était délicate et difficile : tous ses amis, tous ses partisans, tous ses auxiliaires, dans le désœuvrement de cette fin de vacances, s’étaient ingéniés à lui dicter ce qu’il devait dire, et, comme il a des amis de toutes les nuances de l’arc-en-ciel politique, des partisans qui tiennent aux programmes les plus divers et même les plus opposés, des auxiliaires socialistes, d’autres radicaux et quelques-uns modérés, c’était pour lui un problème insoluble que de les satisfaire tous. Aussi ne l’a-t-il pas résolu, et nous craignons pour lui qu’il n’ait satisfait personne.

Son discours a été froidement accueilli en dehors de la salle où il l’a prononcé. Loin d’améliorer la situation du ministère, il l’a plutôt affaiblie. Nous ne voulons pas dire par-là que cette situation soit dès maintenant compromise ; mais jamais elle n’avait paru plus fausse qu’à travers le langage sans accent, confus et parfois contradictoire que M. le président du Conseil a tenu à Toulouse. Il a juré qu’il avait sauvé la République, et consacré à cette affirmation la première partie de sa harangue, la plus facile assurément, car un orateur exercé trouve toujours le moyen d’arranger le passé à sa fantaisie : l’avenir lui échappe davantage. Sauver la République ne suffit pas ; l’administrer et la gouverner est une tâche autrement méritoire, et qui exige de plus hautes qualités d’esprit et de caractère. On peut sauver la Répu-