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les cupidités de l’âme anglaise. Il y a sans doute autre chose dans l’âme anglaise ; mais cette autre chose subit une éclipse provisoire. On a expliqué le phénomène par un de ces retours des instincts ataviques qui se produisent parfois chez les peuples ; on a rappelé que les anciens habitans de l’Angleterre avaient été de hardis écumeurs de fleuves et de mers, à la recherche de l’ennemi plus faible à détrousser ou de l’épave à piller. Pourtant ce n’est pas là toute l’Angleterre, et si le plus lointain passé a encore sur elle, en de certains momens, une prise si violente, il est à croire que plusieurs siècles de civilisation et de haute culture morale y ont laissé aussi des traces ineffaçables. Rien ne prouve que l’atavisme opère en raison directe de l’éloignement dans le temps. Nous aimons à croire que M. Chamberlain ne sera qu’un incident dans l’histoire de l’Angleterre : il ne lui imprimera pas une direction définitive et immuable.

Déjà, à la fin de la campagne électorale, un assez singulier renversement de l’opinion s’est produit contre lui. La victoire conservatrice était certaine ; il n’y avait plus rien à craindre pour le dénouement. Alors, les conservateurs eux-mêmes se sont aperçus que, dans sa campagne oratoire, M. Chamberlain avait souvent dépassé la mesure, et avait jeté à la tête de ses adversaires des accusations et des calomnies que l’ardeur du combat ne pouvait pas justifier. A l’entendre, par exemple, tout siège obtenu par un libéral était un siège vendu aux Boers. Nous croyons bien qu’il a expliqué ensuite que par vendu, il avait voulu dire acquis : une nuance qui n’a pas désarmé les susceptibilités. Tous les journaux conservateurs sont subitement partis en guerre contre leur favori de la veille. Le grand leader électoral a été universellement désavoué. On voulait bien profiter de sa propagande, quelque violente, brutale et même immorale qu’elle eût été ; mais on ne voulait pas en prendre la responsabilité. De toutes parts on lui a crié : Assez ! M. Chamberlain a essuyé d’autres tempêtes ; il ne s’est pas ému de celle-là plus qu’il ne convenait ; peut-être même ne s’est-il pas rendu compte qu’elle présentait un symptôme à méditer. Il a attendu le lendemain des élections, et alors, s’adressant à un élément très populaire, au banquet des poissonniers, dans la Cité de Londres, il a entonné en l’honneur de sa politique un retentissant Magnificat. Il s’en est tenu là, d’ailleurs, et son discours, plus réservé que certains autres, n’a été injurieux pour personne, ni au dedans, ni au dehors. Il s’est contenté de glorifier et s’est efforcé de définir l’impérialisme, qu’il a représenté comme un lien plus étroit et plus fort entre la métropole et ses colonies. Si l’impérialisme n’était que cela, il ne