Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/233

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’en appeler au pays. En quoi il a prudemment agi. On pouvait croire, au moment de la dissolution, que la guerre du Transvaal était terminée : cela est moins sûr aujourd’hui. Non pas que la fortune des armes puisse désormais changer de camp ; quel que soit leur héroïsme, les malheureux Boers sont voués à la défaite finale ; mais ils la retardent encore, et l’Angleterre n’est pas au bout de ses sacrifices. Quand viendra la liquidation militaire et politique de cette folle et coupable entreprise, on en établira le bilan définitif, et il y aura plus d’une déception. Le parti libéral, s’il montre alors un peu plus d’habileté qu’il ne l’a fait dans ces derniers temps, et surtout s’il réussit à reformer ses cadres et à se donner une discipline plus ferme, n’aura qu’à recueillir les fruits qui mûrissent pour lui. Il s’en faut que les conservateurs aient dans le pays une majorité proportionnelle aussi forte qu’à la Chambre. Les élections anglaises, plus que toutes les autres peut-être, ont leur fantasmagorie : pour la dissiper, il faut aller au fond des choses, c’est-à-dire aux chiffres mêmes des votes obtenus par chacun des deux partis. C’est à peine si, sur plus de 4 millions et demi d’électeurs qui ont pris part au scrutin, les conservateurs ont eu une majorité de 212 500 voix. Comment à une majorité si faible dans le pays correspond une majorité si grande à la Chambre ? Cela s’explique à la fois par la faculté du vote multiple qui appartient à un assez grand nombre de votans, généralement conservateurs, et aussi par la manière dont les circonscriptions électorales sont découpées, avec un très médiocre souci de la représentation numérique des populations. Tout cela est bien connu. Si nous le relevons, c’est pour montrer que le parti libéral n’est pas aussi malade qu’on pourrait le croire d’après des apparences superficielles.

Au surplus, les antiques appellations de parti conservateur et de parti libéral commencent à être bien démodées ; elles ne sont plus en rapport avec la réalité des choses. Conduits par l’habitude, nous avons parlé de la victoire du parti conservateur ; mais que faut-il entendre par-là ? Où est aujourd’hui le vieux parti conservateur que nous avons connu, il y a quelques années encore, et dont le marquis de Salisbury aura été sans doute le dernier représentant ? Qu’est-il devenu ? Où en retrouverait-on les vestiges ? Il est victorieux tant qu’on voudra ; mais il a disparu dans sa victoire tout aussi complètement que le parti libéral dans sa défaite. Ce dernier a à sa tête quelques hommes très distingués et très honorables, d’autant plus courageux qu’ils ont à lutter et qu’ils luttent contre l’égarement de l’opinion, M. John Morley, sir William Harcourt, sir Henry Campbell Banner-