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à manger et à digérer parfaitement, infirmant ainsi la fable des membres et de l’estomac, et donnant un démenti à la sagesse du général romain et du fabuliste français.


IX

Mais si l’organisme prend si facilement son parti de la privation de l’estomac, s’il digère sans lui, quel est donc le rôle de cet organe ? Va-t-il falloir admettre qu’il n’en a point et qu’il est, comme les organes rudimentaires, le simple témoin de la distraction ou des habitudes routinières d’une nature artiste ? Ou bien se décidera-t-on enfin à admettre que cette question de l’utilité des organes est mal posée et ne comporte point de réponse scientifique ?

On n’a pas voulu s’y résoudre sans avoir fait une dernière tentative. Ne pouvant plus lui attribuer un rôle digestif, on a assigné à l’estomac une fonction antiseptique. Si le suc du pancréas suffit si bien à la tâche, pourquoi un suc gastrique ? « Pourquoi donc, s’écrie Bunge, toute cette peine imposée aux glandes gastriques, de séparer du sang alcalin un acide libre ? » L’acide libre doit avoir une raison d’être. Laquelle ? On sait que les acides libres sont des agens microbicides et antiparasitaires très puissans. Si, à la rigueur, quelques moisissures peuvent s’en accommoder, ils sont incompatibles avec la vie des animaux et des microbes. Ceux, en particulier, qui président à la putréfaction n’y peuvent prospérer. Le suc gastrique ne se corrompt point : il peut se garder pendant des années sans altération. Et non seulement il ne subit pas la corruption due à la pullulation des micro-organismes, mais il en préserve les corps qui y sont immergés. L’abbé Spallanzani l’employait pour mariner des tissus qu’il voulait conserver.

Il y a plus : l’acide chlorhydrique existe, dans le suc gastrique, précisément au degré où il faut qu’il soit pour empêcher toute putréfaction. Il constitue donc, a-t-on dit, une protection contre la multitude des microbes pathogènes que l’alimentation introduit, à chaque instant, dans l’économie. Il nous sauve de la plupart des maladies contagieuses, et la meilleure protection contre les dangers des épidémies qui s’attaquent à l’intestin, comme le choléra, par exemple, c’est un bon estomac. La théorie est ingénieuse, et elle ne serait pas dépourvue de toute vraisemblance, si l’on voulait bien ne pas l’exagérer. Dans la réalité, l’estomac ne remplit pas très efficacement son rôle de cerbère par rapport aux microbes envahisseurs. Il en laisse subsister un assez