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Cette sécrétion sensorielle est adaptée aux qualités gustatives de l’aliment. Le mets savoureux et de haut goût l’exalte ; l’aliment insipide, de goût plat ou désagréable, ne saurait l’éveiller. La graisse, le lait, les viandes fades, les alimens qui ne sont pas relevés et qui ne flattent point le goût, sont à peu près inefficaces à susciter cette sécrétion fortement acide et fortement peptique à qui revient, en définitive, l’action principale dans le fonctionnement de l’estomac.

On voit, en passant, le rôle considérable de la sensation gustative. Elle est, en quelque sorte, le primum movens de l’activité de l’estomac. C’est elle qui lui donne le branle. C’est la sensation perçue qui provoque l’écoulement du suc le plus énergique. Aussi, ce suc que nous avons appelé jusqu’ici sensoriel, pour indiquer son origine, nous aurions pu l’appeler psychique, pour marquer qu’il est lié à une perception, c’est-à-dire à un acte de la conscience. Et c’est ce qu’a fait Pawlow, qui a distingué, au total, et mis en relief, l’existence de deux sécrétions dans l’estomac, la sécrétion chimique et la sécrétion psychique. Il en a dévoilé le mécanisme pièce à pièce, montrant le point de départ de l’action nerveuse, son trajet, et ses voies de retour. Mais ces détails ne sauraient trouver place ici, non plus que la description des très ingénieux artifices expérimentaux que le physiologiste russe a dû mettre en œuvre. Il faut seulement savoir que, dans cette série de recherches, les physiologistes de profession apprécient l’élégance de l’exécution au même degré que la netteté des résultats.

Parmi ces résultats, retenons un moment celui qui est relatif au rôle de la sensation gustative. Les théoriciens de la gastronomie prétendent qu’il faut « bien manger » pour honorer son estomac ; mais l’on sait assez que, pour les simples gourmands, la bonne chère n’est qu’un moyen de satisfaire la sensualité. Et voici maintenant que cette sensualité gastronomique nous apparaît comme la condition du fonctionnement normal de l’estomac et comme le ressort de son activité physiologique. Elle entre, en un mot, dans les desseins de la nature.


Ces notions nouvelles seront d’une utilité considérable à l’hygiène alimentaire et à la médecine. Les médecins contemporains sont fort ignorans en diététique, et ils ont à peu près renoncé à diriger l’alimentation de leurs cliens. Ils ne possèdent qu’un petit nombre de règles empiriques et d’une application incertaine. Les récens progrès de la physiologie de l’estomac peuvent, dès à présent, fournir une base rationnelle aux applications ; ils permettent de prévoir ce que sera, à la fois comme quantité et comme qualité, le suc gastrique produit à