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forte raison ce liquide afflue-t-il lorsque, au lieu d’un vain fantôme, c’est l’aliment savoureux lui-même qui est présenté à l’animal, introduit dans sa cavité buccale, et promené par la langue sur toutes les surfaces impressionnables du goût. Un flux de suc gastrique répond à l’excitation sensorielle, et, cette fois, sans retard. Le temps perdu est à peine de deux à cinq minutes : l’écoulement s’établit, abondant, régulier ; il dure de deux à trois heures. Le liquide est doué de facultés digestives puissantes ; il est riche en pepsine et fort acide.

À cette sécrétion sensorielle, qui va son train et se poursuit pendant plus de deux heures, survivant à la sensation passagère qui lui a donné naissance, se superpose, un peu plus tard, la sécrétion seconde, ou sécrétion chimique dont il a été parlé précédemment et qui est due à l’effet produit par l’aliment sur l’estomac lui-même. Voilà donc deux phénomènes tout différens d’allure, qui, se développant simultanément, mêlent leurs effets tantôt concordans et tantôt opposés et les masquent les uns par les autres. L’observation brute est inefficace à saisir leur total ondoyant. Il a fallu une analyse subtile pour les dissocier.

L’ingénieuse expérience de Pawlow, qui a réalisé cette analyse, est celle du repas fictif. Des deux effets que produit l’aliment par son contact successif, d’abord avec les parois de la bouche, richement pourvues de nerfs gustatifs, et ensuite avec la muqueuse de l’estomac, il fallait supprimer le second en laissant subsister le premier. Il fallait que l’aliment qui a traversé les premières voies digestives n’arrivât point à l’estomac. On l’a donc intercepté en route. Le chien de Pawlow a l’œsophage sectionné, comme le cheval de l’expérience célèbre de Claude Bernard. Celui-ci buvait continuellement, sans jamais étancher sa soif ; aussi impuissant à remplir son tube digestif que les Danaïdes leur tonneau, il avalait sans cesse une boisson qui, à mesure, s’écoulait par l’ouverture du conduit œsophagien, béante au milieu du cou. Le chien de Pawlow mange de même son repas fictif, en satisfaisant sa gourmandise, sans remplir son estomac. Cet organe, d’ailleurs, ayant été, par avance, muni d’une canule gastrique, c’est-à-dire d’une fenêtre, on pouvait observer ce qui s’y passait et recueillir ce qui s’y trouvait. C’est par ce moyen que l’on a vu la sécrétion commencer quatre ou cinq minutes après le début du repas fictif et se continuer pendant deux ou trois heures. On a recueilli le suc et constaté qu’il était abondant, très acide, riche en pepsine, et très apte à digérer, même en dehors de l’animal, dans un verre à expérience, la viande ou d’autres substances albuminoïdes.