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collet, lui prend sa cigarette dans la bouche, la jette par terre, et l’éteint sous son pied… Est-ce bien cependant cette scène-là qui nous initiera sérieusement au Dahomey ?… Ou bien l’apprendrons-nous encore auprès des trois négresses parquées là-bas entre leurs barrières, assises sur leur pirogue renversée, et qui provoquent les exclamations des badauds ? Elles crient à ceux qui les agacent : « Toi méchant ! » Et ce « toi méchant » est peut-être bien d’un nègre un peu trop convenu, toutes les négresses ne sont pas du Dahomey, et celles de la pirogue ont une manière de s’effaroucher qui rappelle les « scènes dans la salle… »


VI

Si l’Andalousie au temps des Maures est de l’exotisme, le personnage sous la figure duquel elle nous apparaît d’abord a déjà de quoi nous étonner. Il est en pantalon gris-perle, en gilet blanc, avec un tuyau de poêle de l’époque de Bolivar et un habit noir de celle de Robert Macaire. Le visage fortement boucané vous rappelle seul, sous ce costume, le croisement Maure-Andalou… Mais entrons. L’homme nous y invite d’un geste large, nous le suivons dans une suite de cours où s’alignent des boutiques façon mauresque, puis nous parvenons à des arènes… Là, nous assistons à des spectacles de cirque, mais où les chameaux remplacent les chevaux, et où la troupe figure l’Andalousie populaire, guerrière, paysanne, héroïque ou burlesque. Exercices de chameaux, cavalcades de chameaux, chameaux dressés en liberté, chameaux qui s’agenouillent, chameaux qui saluent, chameaux qui valsent ! C’est le Franconi des chameaux ! Et des garçons de café colportent des rafraîchissemens. Ils crient, leurs plateaux en l’air : « Orgeat, limonade, bière !… » Des tapis à vendre pendent aux murailles, avec les prix marqués dessus. La clientèle va et vient dans les restaurans des loggias. Tout le long d’un large promenoir, le public, en gaîté, regarde, pour deux sous, des scènes licencieuses dans des stéréoscopes… Les chameaux, pendant ce temps-là, cavalcadent et saluent toujours, trimballent et secouent la troupe maure sur leurs bosses, et l’homme au pantalon gris-perle, à la fin de la représentation, apparaît, lui aussi, au milieu des chameaux, mais à cheval. Il s’incline sur son gilet blanc, dans son habit du temps de Robert Macaire, et salue théâtralement, son bolivar à la main.