Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/203

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Vous ressortiez, et la foule, vingt pas plus haut, vous entraînait dans une salle où toute une ménagerie de bêtes empaillées vous regardaient avec leurs yeux de verre : vous étiez au Canada, et ce n’était plus que bisons, élans, phoques, martres, renards gris ou bleus. Vous ressortiez encore, vous montiez un sentier, et ce pavillon ajouré, multicolore, que vous aperceviez tout à coup, était un restaurant chinois. On vous y offrait des « nids d’hirondelle, » des « ailerons de requins, » et des « beignets de pigeons. » Quant aux « Hues du Caire, » aux « Cafés maures, » aux « Abraham » et aux « Mohamed » installés dans leurs échoppes, au milieu de leurs étoffes, de leurs poteries, de leurs pâtes, de leurs parfums, ils ne se comptaient plus. C’était l’univers dans un jardin ! Un territoire grand comme la moitié de l’Europe se condensait en cinq cents mètres carrés, un désert se résumait en une paillote, une mer en un bassin. Le nord touchait au sud et le pôle à l’équateur. Le même courant d’air vous apportait l’odeur des joncs de l’Océanie et des fourrures du Kamchatka. Vous faisiez là, montre en main, le tour du monde en trois heures. Et les « stéréoramas, » les « cinéoramas, » les « maréoramas, » vous donnaient à la fois, dans ces trois heures, l’illusion du bateau, du ballon et du wagon-bar.

Ce fut là, assurément, une existence suggestive, toute en surprises et en changemens d’horizons. Quelle en fut bien, seulement, la valeur positive exacte, et quel enseignement y recueillait-on, puisqu’on devait m’y donner un enseignement, et un enseignement d’Etat ? Devais-je bien voir, sérieusement, quelque chose de la vraie Chine dans la Chine du Trocadéro, et le Congo aperçu au son d’un carillon russe, entre un charivari arabe et une musique de tziganes, était-il bien vraiment le Congo ?… A présent que l’école est fermée, il est bon de récapituler ce que nous y avons appris…


II

Les Indes Néerlandaises, dans la grande avenue centrale, vous arrêtent particulièrement. Elles étonnent par leur fouillis hiératique, leur luxuriance de dieux et de monstres, et nous sommes là à Java, au pied d’un temple gardé par toute une garde d’idoles assises, un doigt levé, la lèvre énigmatique. Pourquoi, toutefois, faut-il que ces idoles sentent aussi fraîchement l’atelier, et que