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de ses colonies qui se plaignent d’une concurrence aussi puissante, elle verrait, avec une satisfaction sans mélange, les grands États de l’Europe centrale et occidentale s’épuiser en subventions qui permettent aux Anglais de boire leur thé et de fabriquer leurs confitures à des conditions de bon marché que le reste du monde leur envie, et qui sont pour eux un avantage gratuit.

Nous citons ces exemples, en apparence étrangers au sujet qui nous occupe, parce que rien ne serait plus naturel que de voir les fabricans de fer venir à leur tour réclamer une protection analogue à celle qui est accordée aux producteurs de sucre et de blé. Mais en admettant qu’un Parlement à courte vue nous entraîne dans une expérience de ce genre, elle ne saurait être de longue durée. Ce n’est pas dans cette voie que l’industrie moderne trouvera son salut. Le choc des intérêts a déjà provoqué des ententes de plus en plus fréquentes à l’intérieur des frontières des États. Peut-être qu’au vingtième siècle, des accords internationaux s’établiront entre les producteurs d’une même matière, d’une même marchandise, non seulement de pays à pays, mais de continent à continent. Ce serait s’exposer à être taxé de rêveur que de prévoir des arrangemens de ce genre pour les denrées agricoles qui, en dépit de l’activité du commerce des céréales entre certaines contrées, sont encore, en général, consommées là où elles sont produites. Mais, en matière industrielle, nous avons vu et nous voyons tous les jours éclore des organisations ou des tentatives d’organisation qui indiquent la marche des esprits. Les syndicats ou trusts américains englobent des États, réunis politiquement par un lien fédéral, mais qui, par leur étendue et leur importance, représentent un continent : les efforts persévérans de l’Angleterre pour s’attacher plus étroitement ses colonies amèneront peut-être des ententes analogues, sinon entre des continens, du moins entre des portions de continens différens : ces diverses étapes nous achemineront plus ou moins vite vers l’époque où les industries humaines seront organisées dans le sens que nous avons fait entrevoir. Celles des métaux et de la houille nous paraissent devoir être les premières pétries dans ce moule nouveau : c’est une des nombreuses raisons qui nous ont fait juger utile d’en mettre les conditions actuelles sous les yeux de nos lecteurs.


RAPHAËL-GEORGES LÉVY.