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la force publique figure pour une somme de 8 millions, l’exploitation du domaine, 5 millions ; l’agriculture et la justice, chacune 500 000 francs ; le service de la marine, 2 millions et demi. Constatons enfin qu’en moins de quinze années, les recettes ont augmenté progressivement de 0 à 26 millions et que le commerce spécial de l’Etat indépendant, représenté en 1886, par environ 3 500 000 francs atteint en 1899 plus de 58 millions, chiffre dans lequel la part de la Belgique est de 48 millions environ.

En rejoignant Matadi, sur le chemin du retour, j’eus sous les yeux, dans une plantation de l’État appelée Congo da Lemba, une scène intéressante qui donne la physionomie des relations actuelles de l’autorité avec les naturels déjà assimilés. Nous assistions à l’appel réglementaire, lorsque, au moment de rompre les rangs, deux ou trois noirs s’avancèrent crânement vers le gouverneur, attendant, dans une pose respectueuse, l’autorisation de parler. Ils avaient, disaient-ils, à se plaindre de la nourriture. Le gouverneur les écouta avec attention, puis interrogea le directeur ; celui-ci ordonna aux hommes de se dévêtir ; ils ne semblaient pas avoir pâti, et leur requête fut écartée. Cette scène se passa simplement et sans paroles violentes, aussi « Boula Matari, » tout en leur donnant tort, ne perdit pas la confiance que ces gens lui témoignaient. Le nom de Boula Matari exprime maintenant dans tout le Congo l’idée abstraite de l’État indépendant, qu’il soit représenté par le Roi-Souverain lui-même, ou par ses plus humbles agens. C’est le surnom que les noirs avaient primitivement donné à Stanley lorsque, pour la première fois, essayant de remonter les cataractes du Congo, il faisait sauter les roches à la dynamite ; « Briseur de rochers, » ont dit les noirs, et le nom est resté. Les travailleurs de Congo da Lemba n’étaient pas seuls à vouloir adresser une requête à « Boula Matari ; » après eux se présentèrent des soldats : salut militaire, port d’armes. Ceux-là ne se plaignent pas, mais ils voudraient bien avoir des femmes. Ils font observer à Boula Matari qu’ils sont d’âge pour cela. Le gouverneur prend en considération la demande, on s’occupera d’eux. Les soldats se retirent, faisant demi-tour : ils ont l’air radieux.