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infranchissables, il confia aux rochers le regret de son impuissance. En dépit des tentatives faites depuis lors, il a donc fallu quatre cents ans pour réaliser ce tour de force d’escalader les « Monts de Cristal » d’abord à pied, pendant une pénible période de vingt années, puis enfin confortablement traîné par une locomotive comme nous allons le faire. Matadi, où nous accostons, est le berceau de cette entreprise remarquable qui a donné à l’État indépendant sa vitalité et son essor : sans ce travail, disait Stanley, le bassin de l’immense fleuve ne vaudrait pas un penny. Pour déterminer quelle serait la tête de ligne de la voie à construire, les ingénieurs n’eurent guère l’embarras du choix, car on se trouvait singulièrement resserré entre les rapides et la frontière portugaise. Sur l’autre rive, il eût fallu emprunter en partie le territoire du Congo français. L’emplacement actuel était d’ailleurs favorable, puisque les plus grands navires de mer pouvaient venir s’y ranger à quai et y charger ou décharger directement leurs marchandises. Je ne dirai pas que la ville ait déjà l’air soigné ni bien riant ; les bâtimens les plus importans sont en fer, rarement en briques, d’autres en planches, et souvent de vieilles caisses de fer-blanc servent d’abri aux travailleurs ; les rues irrégulières grimpent la montagne sur de grossières marches taillées dans le roc. Mais partout se déploient l’activité et le mouvement commercial ; dans les ateliers résonnent les marteaux de forge ; dans les magasins-comptoirs, les objets de traite et d’approvisionnement s’offrent sur les étalages ; dans les hangars s’entassent des ballots de caoutchouc et des pointes d’ivoire ; j’en ai compté pour quatre millions, que le prochain bateau emportera en Europe.

Le chemin de fer, qui est devenu la seule voie de transport, ne suffit plus déjà pour amener du haut fleuve les richesses qui s’amassent sur ses rives. Aussi ses actions se sont-elles élevées en quelques mois dans des proportions peu ordinaires ; j’apprends là que la dernière cote de la Bourse portait à 10 000 francs les parts de fondateur. N’étaient-elles pas, il y a cinq ans, à 250 francs ? Le saut est d’importance : aussi les pessimistes nous rappellent-ils que ce chemin de fer a coûté 70 millions, et qu’en comptant son exploitation, les travaux d’amélioration de la ligne et l’amortissement du capital, 6 millions de recettes ne sont pas de trop, avant de songer aux dividendes. Il est bien vrai que, pour le moment, la moyenne des recettes s’élève par mois à plus d’un million, soit 12 millions par an, mais qu’adviendrait-il