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une misérable victime de ces superstitions. Couchée dans la brousse, complètement nue, portant seulement un gros anneau à la cheville, une pauvre femme, maigre et décharnée, poussait des gémissemens. Une partie de la caravane avait passé devant elle sans même lui accorder un regard ; je la fis soulever par deux soldats de l’escorte, elle râlait et allait certainement mourir. Que faire ? rien ;… et nous continuâmes notre chemin tout comme les autres. Parlant de cette rencontre à un ingénieur du chemin de fer qui faisait de ce côté une reconnaissance, celui-ci me dit philosophiquement qu’il avait déjà rencontré cette malheureuse, que les habitans du village voisin l’avaient déclarée fétichée, et, l’ayant chassée, la laissaient mourir de faim. Comme nous, il avait reconnu l’impossibilité de lui porter secours. — Il y a pour le gouvernement quelque parti à tirer de ces féticheurs, race vénale, que l’on pourrait peut-être domestiquer. La question est même à l’étude, mais tout est tellement nouveau ici, les mœurs locales sont si peu connues, la langue usuelle est si rudimentairement employée par les blancs qu’il faudra de grands efforts encore avant de s’entendre sur des choses aussi subtiles. Je suis surpris du reste de la richesse de cette langue. D’après ceux qui l’ont un peu étudiée, les verbes auraient des conjugaisons normales et la formation facile des mots en étend beaucoup la portée. Ce qui complique singulièrement le vocabulaire, c’est que certains mots sont mots « fétiches, » c’est-à-dire qu’ils expriment, avec des conventions insaisissables, un sens tout autre que le sens généralement adopté. Et inversement, certaines choses, l’eau par exemple, se désignent différemment selon le rang, la qualité ou la valeur de la personne à qui l’on parle. C’est un peu la différence qu’il y a entre l’argot et le langage académique.

Une autre science, moins occulte, mais tout aussi nécessaire, est celle de la valeur des sons du tam-tam. Dans les villages indigènes, à côté ou en face de la demeure du chef se trouve une case sans parois, recouverte seulement d’un toit, qui sert en même temps de forum et d’abri pour cet instrument, propriété commune de tous les habitans.

Il consiste en un gros tronc d’arbre, long de deux ou trois mètres, vidé comme le serait un grelot taillé dans du bois. On frappe sur ce gigantesque grelot avec une sorte de battoir et, selon la place où l’on frappe, la force qu’on déploie ou le liant qu’on sait y mettre, on obtient des sons sensiblement différens.