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habitation ; les villages indigènes se cachent de préférence dans les forêts ou les plis de terrain, et ils se déplacent avec une singulière facilité, ces huttes faites de feuilles de palmier ou de bananier étant des plus sommaires à construire.

Nous traversons cependant quelques villages ; quand le chef se méfie, il y règne un silence absolu, tout paraît désert, personne ne bouge dans les cases. Si, au contraire, le chef a confiance, il vient à notre rencontre, apportant quelque cadeau, une poule ou du vin de palme. Alors, on s’arrête, et bientôt la population masculine nous entoure, tandis que les femmes curieuses, mais timides se risquent à enjamber l’espèce de trou-fenêtre qui sert d’accès à leurs habitations. Le costume de tout ce monde est des plus primitifs, mais ce peu a un rien d’élégance. De jeunes hommes portent un pagne drapé autour des reins, retenant un couteau passé dans la ceinture. Quant aux femmes, le très petit tablier qu’elles nouent sur le devant laisse à découvert la chute des reins qu’elles font valoir avec coquetterie ; leurs bras, leurs chevilles sont parés de bracelets en fil de laiton et d’anneaux énormes en métal. Les plus riches s’ornent les cuisses ou les épaules de colliers de verroteries. On voit les mamans porter leurs enfans à califourchon sur l’une ou l’autre de leurs hanches. Les poitrines, bon gré mal gré, sont aplaties selon le code de la beauté congolaise au moyen de ficelles ; il faut se donner de bonne heure, paraît-il, l’air très apprécié de matrones. Dans un grand village où nous avions été particulièrement bien reçus, le chef nous fit les honneurs de sa case, composée d’une sorte de véranda et d’une grande chambre. Celle-ci abritait nombre d’aiguières qu’il emmagasine pour ses funérailles, et plusieurs idoles en bois vermoulu représentant toutes le même guerrier lançant un javelot. C’était le fétiche de la tribu, découpage grossier avec des yeux en verroterie, le visage bizarrement peint en blanc et en rouge, les lèvres corrodées par un acide qui devait être du poison, le ventre orné d’un morceau de miroir et tout ponctué de clous enfoncés sans ordre.

Notre hôte était presque un fonctionnaire de l’Etat, car il portait au cou une grande médaille qui consacre officiellement son autorité et constitue l’embryon d’une chefferie indigène. Lui et ses pareils ont incontestablement un grand ascendant sur leurs gens ; est-ce parce qu’ils sont d’une autre race plus intelligente ou plus affinée ? Je suis porté à le croire, car presque tous se