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moins à craindre quand le soldat se sent hors de chez lui. Il y a des races plus ou moins guerrières, mais, en général, les Congolais sont soldats dans l’âme, leurs armes sont maniées et entretenues avec amour. Le Gouverneur s’efforce en ce moment de perfectionner leur instruction pratique, jugeant avec raison que la précision dans les mouvemens permet aux officiers qui les commandent d’avoir leurs hommes mieux dans la main. Il en résulte que, dans les exercices à feu, par exemple, le soldat s’emballe moins et ne brûle pas éperdument ses cartouches, ou bien encore, dans les marches en pays suspect, on le tient davantage sur ses gardes contre les embuscades. Enfin, plus on les disciplinera, mieux aussi on pourra les lancer et surtout les maintenir à l’heure où la victoire fait renaître en eux des instincts très sauvages. Une compagnie ne compte guère qu’un ou deux blancs, officier et sous-officier, mais il y a d’excellens gradés noirs connaissant leur théorie, commandant et manœuvrant comme de vieux grognards. Quatre camps d’instruction sont échelonnés sur le territoire de l’Etat. Les soldats n’y sont pas précisément casernes, mais réunis dans des agglomérations de cases où ils vivent avec leurs femmes. Très pittoresques d’ailleurs, ces sortes de villages où l’on rencontre des types féminins de toutes les races de l’Afrique, quelques-unes grandes et de belle allure, la plupart d’une beauté de formes très provocante dans le pagne gracieusement enroulé sur le buste et sur les reins, les épaules nues presque toujours sculpturalement belles, la taille cambrée avec cette grâce ondoyante qu’aucun vêtement ne comprime. Etre la femme d’un soldat constitue une situation sociale, et l’État se préoccupe de ce que ses troupes soient munies d’épouses tout comme il prévoit le manioc pour leur alimentation. Il n’a pas d’ailleurs été possible, jusqu’à présent, dans les stations de l’Etat, de n’admettre que les seules femmes légitimes, et les irrégulières, comme les appellent les circulaires administratives, y sont tolérées. Les femmes légitimes qui consentent à s’occuper des cultures reçoivent par mois un petit salaire, plus la ration de vivres, et leurs enfans âgés de plus de deux ans ont droit à une demi-part. Les autres femmes ne participent pas à ces avantages ; toutefois beaucoup d’entre elles sont payées comme ouvrières à gages dans les plantations de l’État ; parmi elles se recrutent les « légitimes, » mais ces dames ont un tel esprit d’indépendance que souvent elles préfèrent rester libres de leurs choix et de leurs caprices. Quoi qu’il en soit, de cette