Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 162.djvu/128

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette profondeur particulières à Beethoven, pour exprimer une succession de sentimens qui se meuvent entre l’amour le plus tendre et la passion la plus violente, entre l’humour le plus franc et la profondeur métaphysique. « Après Wagner et avec lui, M. Weingartner s’étonne que les compositeurs n’aient vu que la forme dans les créations de Beethoven et aient continué tranquillement à écrire des symphonies, sans se rendre compte que la dernière symphonie, était déjà écrite et que c’est la symphonie avec chœurs. » Cela n’est pas moins vrai de l’ordre ou du genre de la sonate, que de celui de la symphonie. Il se peut qu’avec l’op. 111 de Beethoven la dernière sonate pour piano, elle aussi, ait été écrite. « Est-il possible d’utiliser cette forme de nouveau, alors qu’un maître l’a remplie de pensées si vastes, qu’elle se montra trop petite pour lui ? Après avoir exprimé par elle ce qu’il y a de plus prodigieux, le maître la brisa… » Comme la symphonie, il semble que la sonate ait « éclaté sous la pensée de Beethoven » et sans doute, recueillis et rapprochés par ses successeurs, les éclats ou les morceaux en sont bons ; ce ne sont pourtant que des morceaux.

Il y a quatre sonates de Weber, ou plutôt, suivant l’expression de Spitta, quatre « fantaisies en forme de sonate, » quatre merveilleuses improvisations de grand pianiste et de grand virtuose ; musique plutôt en surface, — en surface brillante, étincelante même, — qu’en profondeur, où le génie mélodique l’emporte de beaucoup sur le génie du contrepoint et du développement. C’est aussi par la faiblesse du développement, par la disproportion des parties et par la prolixité, que les sonates de Schubert demeurent au-dessous de celles de Beethoven. Créateur de mélodies sans nombre et, sinon sans égales, au moins sans pareilles, Schubert est un faible symphoniste ; or, le principe symphonique est le fond ou l’âme de la sonate non moins que de la symphonie elle-même. Il est rare qu’un morceau de Schubert ne commence pas d’une manière exquise : avec une grâce, une spontanéité ravissante ; il est rare qu’il continue de même. Je parle surtout ici des grands morceaux : premier allegro ou finale, car les scherzos de Schubert sont très souvent parfaits. « Schubert, a écrit Schumann, est comme un tempérament de jeune fille qui s’est attaché au maître Beethoven… Il est vis-à-vis de lui comme un enfant qui joue sans souci entre les jambes du géant[1]. »

  1. Schumann : Écrits sur la musique et les musiciens, traduits par M. H. de Curzon ; chez Kischbacher.