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Parmi les trente-deux sonates de Beethoven, une seule, et seulement en sa dernière partie : l’Aurore, pourrait justifier le titre pittoresque qui lui fut gratuitement donné. « Le jour sort de la nuit comme d’une victoire. » C’est bien ainsi que du sombre adagio sort le finale éblouissant. Il a vraiment des beautés matinales : des arpèges transparens, des trilles qui jaillissent en gerbes de rayons, des notes pures et rondes comme des gouttes de lumière. Mais si de l’ordre visible vous le transposez dans l’ordre moral ; si vous le ramenez, comme disent les mystiques, ab exterioribus ad interiora, vous relèverez ad superiora, comme ils disent aussi. Du dehors au dedans et du dedans au dessus. Ainsi entendu, le finale demeurera toujours une victoire, mais victoire intérieure, celle dont Beethoven était coutumier. De cette fête des yeux vous ferez une fête de l’âme et le tableau musical y gagnera encore, en ressemblance autant qu’en beauté.

Ce serait une étude intéressante, mais interminable, que l’étude sentimentale ou passionnelle, et pour ainsi dire « éthique, » des sonates de Beethoven. Les moindres recèlent des trésors : trésors même de grâce et d’amabilité, de charme intime et familier. Avec quelle courtoisie le Beethoven des trois premières sonates, dédiées à Haydn, ne rend-il pas hommage au passé, à cet « ancien régime » avec lequel il va rompre, d’une rupture qu’annoncent déjà des éclairs. Que de fois, plus tard, entre deux tragiques poèmes, Beethoven s’égaie et rit ! Autant que de la douleur, il a tout connu, tout exprimé de la joie : tout, depuis la violence, la rudesse et même la frénésie, jusqu’à l’ingénuité, l’innocence divine : témoin la sonate en sol majeur (alla tedesca), l’une des moins profondes, mais des plus exquises, où l’Allemagne, je veux dire certaine Allemagne enjouée et naïve, une Allemagne d’autrefois, semble danser et sourire sous un nom et comme sous un masque italien.

De toutes les sonates de Beethoven, une seule s’appelle « pathétique ; » mais presque toutes pourraient porter ce nom. La sonate en ut dièze mineur ; celle (en fa mineur) qu’on appelle l’Appassionnata, sont parmi les plus illustres ; trop illustres peut-être pour qu’on ose en parler encore. Comme la sonate en la mineur de Mozart, ce sont deux sonates d’amour, mais de quel autre amour ! Dédiée au comte de Brunswick, la sonate en fa « mineur s’adresse en réalité à sa sœur, la comtesse Thérèse. A celle-ci, à « l’immortelle bien-aimée, » Beethoven consacrera plus