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la souffrance éprouve sans la briser, une force qui persiste et résiste jusqu’au bout, juqu’aux notes finales, qui montent lentement, avec peine, mais qui montent. Ce bref et sublime témoignage suffit pour qu’on s’étonne, avec M. Shedlock, que de telles œuvres soient d’un devancier de Beethoven et non de Beethoven lui-même. « They sound Beethovenish. » Quand les admirables accords de la Wehklage retentissent, on sent bien que le temps des précurseurs est passé, que le maître est à la porte et qu’il frappe.


II

Il y a trente-deux sonates de Beethoven. Près de quatre fois aussi nombreuses que les symphonies, elles s’étendent, ou plutôt, — car elles montent jusqu’à la fin, — elles s’étagent sur un espace de plus d’un demi-siècle : de l’année 1796 (Beethoven avait vingt ans), à l’année 1823, quatre ans avant sa mort. Je viens de les relire toutes et, près de parler d’elles, je me souviens du mot de l’Écriture : « Celui qui entreprend de sonder la majesté sera écrasé par la gloire. » La gloire des sonates n’est peut-être pas moindre que celle des symphonies. Celles-ci forment un groupe élu ; celles-là sont presque une foule. Et non-seulement les sonates ne ressemblent jamais aux symphonies, mais elles ne se ressemblent jamais entre elles. La symphonie sans doute garde l’avantage sinon de la pluralité, du moins de la diversité des voix. Elle l’emporte également par leur puissance. Enfin le nombre des interprètes et la variété même des matériaux sonores, cordes, bois et métal, font de la symphonie je ne sais quelle représentation grandiose, à la fois sociale et cosmique, de l’humanité et de l’univers. On se dit, on se redit tout cela quand on vient d’entendre les neuf symphonies. On est tenté de l’oublier après avoir joué les trente-deux sonates. On leur sait gré, comportant moins d’appareil, de ne pas contenir moins de pensée. Il semble que, privée de l’orchestre, et renonçant à cette beauté plus que sensible, éclatante, leur beauté purement idéale s’accroisse, loin d’en souffrir, de cet austère renoncement. Entre les symphonies et les sonates, — je parle des plus grandes — la différence n’est pas de nature, mais en quelque sorte d’accident ; elle tient aux moyens et aux dehors, plus qu’au fond et à l’essence même. Dans la symphonie, tous les instrumens concourent