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ce n’est pas alors qu’elle est le moins belle. Alors il n’y a plus en présence, tête à tête et, si j’ose dire, cœur à cœur, que le maître qui parle et le serviteur qui écoute. La sonate alors nous apparaît comme le mode lyrique par excellence, — étant le plus individuel, — de la musique pure. Ne les disant qu’à nous, il semble que le musicien nous dise de lui des choses plus intimes, partant plus précieuses. Il nous donne l’illusion de sa faveur ou de son choix, et la personnalité, ou l’égoïsme, nous ferait aisément préférer la sonate, cette sublime confidence, à la symphonie, ce manifeste éclatant.

Aussi bien, dans l’ordre du temps, la sonate a précédé la symphonie. Elle a servi de base et de type à toute œuvre instrumentale classique, et, par le duo, le trio, le quatuor, le quintette, etc. le genre le plus restreint de la musique de chambre aboutit au genre le plus étendu de la musique de concert.

La sonate pour piano est plus « idéale » que la « suite, » d’où elle est sortie. La « suite, » une des « plus anciennes formes musicales cycliques, » est une série « de plusieurs morceaux de danse écrits dans le même ton, mais de caractères différens. Les plus anciens groupemens de cette espèce qui nous soient connus se trouvent dans les livres de luth de la première moitié du XVIe siècle[1]. » Les deux genres ne se distinguèrent pas d’abord très nettement ; ils demeurèrent quelque temps mêlés, sinon confondus. Corelli ne s’interdit pas de donner à ses adagios, à ses allégros, des titres de danses. Marpurg écrivait en 1762 : « Les sonates sont des compositions en trois ou quatre parties, intitulées simplement allegro, adagio, presto, etc., mais qui, par leur caractère, peuvent être en réalité une allemande, une courante, une gigue. » Quoi qu’il en soit, par nature et par définition, la « suite » est une série de danses, et la sonate un groupe de morceaux. Telle est la différence essentielle et qui n’a fait que s’accroître. Le menuet lui-même, ce dernier vestige de la danse, a fini, dans la sonate et dans la symphonie, par céder la place au scherzo. Ainsi l’art instrumental s’est dégagé peu à peu de la représentation matérielle ; l’image ou le souvenir physique est allé s’effaçant, et de l’accompagnement des mouvemens du corps, c’est à l’expression des mouvemens de l’esprit et de l’âme que la musique s’est élevée.

  1. Riemann, Dictionnaire de Musique, traduit par M. Georges Humbert, Paris, Perrin et Cie, 1899.