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aucune critique, n’a pas non plus exprimé encore d’opinion officielle. Il n’est pas besoin de dire que les propositions de M. Delcassé ne constituent pas un cadre invariable ; elles sont plutôt un canevas sur lequel on peut travailler. Mais ne serait-il pas temps de se mettre au travail !

Quant au gouvernement chinois, ce qu’on dit de son attitude est tellement contradictoire, et varie si bien d’un jour à l’autre, qu’il est impossible de s’en faire une idée exacte. Tantôt on annonce qu’il se rend compte de la volonté des puissances en ce qui touche la punition des coupables, et qu’il y cède : le prince Tuan est dégradé, il va être mis en jugement, et tout le reste viendra naturellement par surcroît. Tantôt on assure que le prince Tuan est plus puissant que jamais, qu’il domine la cour, qu’il est lui-même l’auteur des bruits répandus sur sa disgrâce, et qu’il n’y a en tout cela qu’un jeu pour amuser les puissances. Nous ne nous chargeons pas de dire où est la vérité. Il semble bien que le gouvernement chinois ait fait quelques exécutions, mais personne n’a pu les contrôler, et, en admettant qu’elles aient été sérieuses, elles sont certainement insuffisantes. Un fait paraît malheureusement probable ; nous le faisions déjà prévoir il y a quinze jours : c’est que la Cour abandonne le Chansi pour le Chensi, et se transporte à Sin-gan-Fou. On ne saurait guère se méprendre sur le sens de cette nouvelle fuite de la Cour, qui semble surtout préoccupée de se mettre hors de notre portée. Tout cela n’est pas fait pour entretenir, ni pour réveiller l’optimisme ; aussi n’est-ce pas le sentiment que nous éprouvons ; il convient d’être plus réservé. Nous nous contentons de dire que les propositions de M. Delcassé ont dissipé quelques nuages : elles ont indiqué aussi les bases sur lesquelles les gouvernemens alliés, renonçant à toutes préventions ou préoccupations personnelles, peuvent dès aujourd’hui se mettre d’accord dans l’intérêt commun. Le jour où cet accord sera rétabli, il n’y aura pas un moment à perdre pour ouvrir les négociations, car l’hiver approche : et ce serait, de la part des puissances, la faute suprême de se laisser surprendre par lui en flagrant délit de désunion.


FRANCIS CHARMES.

Le Directeur-gérant, F. BRUNETIERE.