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disait-il, « considérant qu’aux termes de l’article 3 de la loi de 1884, les syndicats ont exclusivement pour objet l’étude et la défense des intérêts économiques, industriels, commerciaux et agricoles ; que la défense ou l’amélioration des salaires rentre dans la catégorie des intérêts économiques ; qu’il appartient en conséquence aux syndicats d’organiser entre leurs membres toute action et toute entente qu’ils jugent utiles pour conserver et améliorer les salaires de la profession ; mais que telle n’est pas, ainsi qu’il est résulté des observations des parties, la question actuellement pendante ; qu’il s’agit de savoir si, des réclamations venant à être formulées et les ouvriers syndiqués en ayant saisi le syndicat, la société devra les débattre avec celui-ci ; considérant que, si les syndicats constituent un intermédiaire qui peut logiquement et utilement intervenir dans les difficultés qui s’élèvent entre patrons et ouvriers, nul ne peut être contraint d’accepter un intermédiaire ; qu’un patron ne saurait exiger des ouvriers qu’ils portent leur réclamation au syndicat patronal dont il ferait partie ; que les ouvriers ne sauraient davantage lui imposer de prendre pour juge des difficultés pendantes entre eux et lui le syndicat ouvrier auquel ils appartiennent, — décide : L’intermédiaire du syndicat auquel appartient une des parties peut être utilement employé si toutes les deux y consentent ; il ne peut être imposé. » Il suffit de rapprocher ce texte du discours que M. Millerand a prononcé à Lens ; tout commentaire est superflu. Jamais l’opposition de deux systèmes n’a été plus évidente. On dira peut-être que M. Waldeck-Rousseau n’était pas libre, qu’il était bien obligé d’appliquer la loi existante et que c’est précisément celle-ci qu’il est question de réformer ; mais cette loi, c’est lui qui l’a faite il y a seize ans ; elle porte son cachet particulier ; et ce qui prouve qu’il n’a pas changé d’opinion à son égard, c’est que tout récemment encore, au mois de juin dernier, il disait devant la Chambre des députés, dans une de ces phrases courtes, ramassées et précises dont il a l’habitude, que le droit d’un ouvrier, fût-il seul à travailler, était égal à celui de tous les autres à ne pas le faire. Que devient ce droit individuel dans le système de M. Millerand ? Il n’en reste plus aucune trace. Les ouvriers d’un côté, les patrons de l’autre, forment deux armées qui évoluent l’une à l’égard de l’autre d’après les prescriptions d’une théorie impérative. Rien ne peut s’en détacher, pour former de ces élémens intermédiaires qui ont, dans le passé, favorisé tant de rapprochemens. On sera désormais à la merci de prescriptions étroites auxquelles nul ne pourra échapper, et les conflits du capital et du travail se résoudront par l’intervention d’un