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syndicats et l’arbitrage. Les syndicats et l’arbitrage sont facultatifs, il faut les rendre obligatoires : alors, on entrera à pleines voiles dans les voies de l’avenir. Ces idées ne sont pas nouvelles ; elles appartiennent au parti socialiste tout entier. M. Guesde les a toujours professées ; M. Jaurès les lui a empruntées et leur a donné tous les développemens que comporte la richesse de son vocabulaire ; M. Millerand les exprime à son tour, avec une hardiesse qui étonne un peu de la part d’un collègue de M. Waldeck-Rousseau. Celui-ci, en effet, a toujours énoncé et appliqué, même depuis qu’il est au ministère, des idées absolument contraires. Il a varié sur d’autres points, mais non pas sur ceux-là. M. Waldeck-Rousseau est l’auteur principal de la loi de 1884 qui a autorisé et organisé les syndicats professionnels, loi bienfaisante dans son origine et qui n’aurait pas cessé de l’être dans son application si on ne l’avait pas de plus en plus détournée de son principe fondamental, d’après lequel le syndicat est un système de représentation de leurs intérêts proposé, mais non pas imposé aux ouvriers. Ils peuvent, à leur gré, faire des syndicats ou n’en point faire, y entrer ou rester en dehors. Dans le premier cas, ils ont en main un instrument puissant ; dans le second, ils conservent le droit de défendre leurs intérêts comme ils l’entendent, en toute indépendance à l’égard du syndicat dont ils ont préféré ne pas faire partie. En un mot, ils sont libres. C’est à cette liberté que le parti socialiste a déclaré une guerre qui redouble chaque jour d’intensité et de violence. Il ne supporte pas qu’un seul ouvrier puisse rester en dehors du syndicat ; il exige, au contraire, que le syndicat les représente tous, et qu’ils n’aient aucune représentation d’aucun genre en dehors de lui. Dès lors le syndicat, en même temps qu’il recevra l’impulsion de la généralité des ouvriers, imposera à chacun d’eux, en toute circonstance, la conduite qu’il doit tenir. En matière de grève par exemple, — et c’est l’organisation de la grève qui est le but, — le syndicat décidera si les ouvriers doivent ou non cesser le travail : la décision, une fois prise, s’imposera à tous. On ne verra plus se produire ces divisions entre ouvriers dont les uns veulent travailler alors que les autres ne le veulent pas : ils obéiront comme un régiment en bloc au même mot d’ordre. Conséquence : le syndicat sera l’unique organe des ouvriers dans leurs rapports avec les patrons. Il parlera au nom de tous.

M. Millerand, sans attendre le vote de lois qui n’ont même pas encore été présentées par lui, mais qui l’ont été par d’autres socialistes, a fait passer dans un décret récent tout ce qu’il a pu de ces principes.