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pour nous, il l’est davantage. Dans nos mœurs actuelles, le recours à la force révolutionnaire n’est pas fort à craindre : il n’en est pas de même de cette infiltration, à petites doses si l’on veut, mais incessante, de l’esprit socialiste dans notre législation. Le parti socialiste, partout où il parvient à s’établir, soit dans les Chambres, soit dans un ministère, est toujours attentif aux occasions et actif à en profiter, tandis que le parti conservateur ou simplement républicain est souvent distrait et inerte. Au surplus, ce dernier croit devoir faire des concessions ; il les juge, au moment où il les fait, sans grande importance ; mais l’autre se sert de tout, ne se contente de rien, et n’occupe jamais une position que pour en conquérir une nouvelle. Qu’on en juge par l’exemple de M. Millerand. Fort de l’espèce de blanc-seing que le Congrès lui avait donné, M. Millerand n’a pas tardé à nous faire part de ses projets ultérieurs. Revenu dans cette région du Nord qui a été longtemps son champ de bataille préféré, il y a été reçu en triomphe. Les fêtes qu’on lui a données à Arras et à Lens sont de celles qui comptent dans la vie d’un ministre. Les rues de Lens, en particulier, disparaissaient sous les drapeaux et les girandoles ; ce n’était partout qu’arcs de verdure et tapis de fleurs. Au milieu de ce joyeux décor, M. Millerand a prononcé un discours retentissant.

Sur les principes mêmes du socialisme, il n’a rien dit, ou peu de chose ; mais il s’est longuement étendu sur les moyens de remporter la victoire définitive. M. Millerand a toujours désavoué les moyens révolutionnaires : cela ne veut pas dire qu’il ne poursuive pas une révolution très profonde, mais il espère l’atteindre par des moyens légaux. Le temps des coups de force et des barricades lui paraît passé sans retour. Il est depuis longtemps législateur, il est aujourd’hui ministre : faisons, dit-il, des lois et des décrets. Cela suffit. Mais quel doit être, et quel est effectivement l’objet des lois qu’il annonce ? C’est d’armer de plus en plus fortement le parti socialiste dans sa lutte contre le capital, et de démanteler celui-ci. Pour cela, il faut organiser la grève, ce qui n’a pas été fait jusqu’à ce jour : on s’est contenté de l’autoriser. Les grèves ont été des moyens empiriques, sans règle, sans méthode, et surtout sans dénouement assuré. Elles se sont produites à la manière de convulsions douloureuses pour tout le monde, pour les patrons comme pour les ouvriers, et, si elles ont finalement amélioré la situation générale de ces derniers, ce n’a été qu’au prix des plus dures épreuves. Il n’en sera plus ainsi lorsque la grève, qui est encore à l’état inorganique, sera passée à l’état organisé. Pour cela, M. Millerand propose une double transformation dans les lois qui régissent les