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Ainsi la démocratie même la plus égalitaire ne va pas au-delà ; parce qu’aller au-delà, ce serait supprimer toute subordination et toute hiérarchie ; mais que supprimer toute hiérarchie, c’est se jeter dans l’anarchie ; et que se jeter dans l’anarchie, c’est se suicider, c’est n’être plus ni une société, ni un gouvernement, ni par conséquent une démocratie, ni rien qui ait un nom dans aucune langue. Tant que la démocratie mérite le mot de société et de gouvernement, tant qu’elle vit, elle admet donc, et elle suppose, comme toute forme de société et toute forme de gouvernement, des fonctions différenciées, mais associées, coordonnées, ou même subordonnées, à des fins d’utilité commune ; elle présente donc des élémens naturels et nullement factices d’organisation ; elle peut donc être organisée.


V

Et donc un parlementarisme réel peut être construit. Il peut l’être avec les élémens mêmes qui serviront à l’organisation de la démocratie ; et le construire serait en même temps travailler à cette organisation. Je viens de rappeler que la profession pourrait être prise pour cadre ou pour base. Et, comme je demandais tout à l’heure : Quoi de moins factice ? quoi de plus naturel ? de plus profondément différencié, de plus nettement spécialisé, de plus spontanément associé pour le bien commun ? je demande à présent : Quoi de plus réel ? Quelle politique plus réaliste ? Et quel parlementarisme plus conforme aux conditions et aux circonstances, plus en harmonie avec le milieu, que celui qui, se fondant sur ce fait que les questions économiques ou sociales passent de plus en plus au premier plan de la vie nationale, ferait passer, avec la profession, un élément social ou économique au premier rang de la représentation nationale ? par-là les institutions évolueraient comme les nations ; par-là l’équilibre, aujourd’hui rompu à notre grand dommage, serait rétabli entre l’état social et le régime politique ; et par-là le parlementarisme réel rentrerait dans la définition de tout parlementarisme, où du reste il rentrerait sous quelque aspect qu’on l’examine. Il serait certes ce qu’est le parlementarisme originairement et essentiellement, dans sa règle et dans sa loi : un système de gouvernement par séparation, par relation et par équilibre des organes et des fonctions de la vie politique de la nation ; ou, du moins, rien dans ses élémens constitutifs ne s’opposerait à ce qu’il le fût, et tout dépendrait de l’arrangement. Nous tenons toujours la directrice : il faut construire le parlementarisme moderne ;