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concevoir une organisation quelconque qui ne soit pas composée d’élémens spécifiquement divers, hiérarchiquement associés pour une fin d’utilité commune : la vie de l’être ? » Telle est cette dernière objection de M. le marquis Tanari, qui ne me paraît ni dirimante, ni même très embarrassante. Oui, en effet, toute organisation suppose des élémens spécifiquement divers, et associés, et hiérarchiquement associés pour une fin commune, qui est ici la vie de l’être. Impossible de concevoir une « organisation » qui ne soit pas cela ; et, comme on le faisait, avec beaucoup de force et de raison, remarquer l’autre jour à cette place : « Dans l’unité organique, l’harmonie résulte de la différenciation même des parties qui la constituent, et là même est le point de distinction de l’organique et de l’inorganisé[1]. » Mais je dis, appliquant mot pour mot et dans toute leur rigueur à la démocratie ces conditions de toute organisation, qu’il n’y en a pas une seule à laquelle elle ne puisse satisfaire : comme toute autre forme de société ou de gouvernement, elle se compose d’élémens spécifiquement divers, pour ce motif en lui-même suffisant qu’il ne se peut imaginer de société qui ne s’en compose ; comme en toute autre forme de société ou de gouvernement, ces élémens divers y sont associés en vue de la vie de l’être, qui est leur fin commune ; et je dis même que rien n’empêche que, comme dans toute autre forme de société et de gouvernement, ils y soient hiérarchiquement associés.

Le monde réel ne nous fournit point d’autres cas d’organisation : — soit ; toute organisation est une intégration de parties entre elles différenciées, associées, et hiérarchisées : — soit encore. Il est aussi utopique de prétendre faire vivre une société, et l’organiser avec des élémens factices ou de commande, que de prétendre fabriquer un homme par des procédés mécaniques : votre bonhomme et votre société ainsi faits ne seront jamais que des automates plus ou moins réussis : — soit ; je suis loin d’y contredire, et je ne demande pas mieux que d’y souscrire pour ma part, toutes réserves exprimées sur le degré de positivité à donner à la comparaison des sociétés avec des organismes ou des êtres vivans. Mais, cela posé, — et nous le posons, — où prend-on qu’il soit besoin, pour organiser la démocratie, de « recourir à des procédés mécaniques » ou d’y introduire de force ou d’astuce « des élémens factices et de commande ? » Comme toute autre forme de société ou de gouvernement, la démocratie porte en elle-même des élémens naturels d’organisation. Elle en

  1. Voyez, dans la Revue du 15 septembre, l’article de M. Brunetière sur la Littérature européenne, p. 355.