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civil, politique et moral de l’Angleterre, et de l’Angleterre du XVIIe siècle, ce n’est qu’à la fin du XVIIIe siècle que le parlementarisme commençait à gagner le continent, et ce n’est qu’au milieu du XIXe siècle qu’il s’y asseyait et s’y propageait. Mais ni le facteur temps n’était le même, ni le facteur espace ; et ce gouvernement anglais des environs de 1688 se trouvait deux fois dépaysé dans l’Europe d’après 1789 ; déguisé successivement ou simultanément à la mode française de 1815, à la mode espagnole de 1820, à la mode belge de 1830, à la mode piémontaise, hollandaise, autrichienne et prussienne de 1848, il avait peine à se reconnaître sous ces travestissemens multiples ; c’était lui et ce n’était pas lui ; comme on croyait que c’était lui, tandis que c’était autre chose, et comme on croyait que c’était autre chose, alors que c’était lui, en vérité ce n’était rien. Il n’y avait pas en France, en Belgique, en Espagne, en Piémont, en Autriche, en Prusse, de parlementarisme anglais, parce que nulle part ce n’était l’Angleterre du parlementarisme ; et il n’y avait pas non plus de parlementarisme français, belge, espagnol, piémontais, autrichien, ou prussien, parce que partout c’était le parlementarisme anglais que l’on s’obstinait à copier et que l’on se flattait d’avoir.

M. le marquis Tanari m’accorde tout cela ; il ne conteste ni l’une ni l’autre de ces propositions, qu’il déclare volontiers « incontestables, » soit théoriquement, soit en fait. Il consent, enfin, que « rien n’est plus exact, à mon point de vue, que la conclusion dernière où j’aboutis : « puisqu’en l’état des choses, il ne peut s’agir de détruire le parlementarisme, il faut le construire. » L’avouerai-je ? Cet « à mon point de vue » me gâte un peu le plaisir que j’éprouve d’un assentiment presque sans réserve. « A mon point de vue ? » Serait-ce donc qu’en l’état des choses, disons qu’en l’état politique et social de l’Occident de l’Europe au XXe siècle, on se puisse placer à un autre ? Je tiens, quant à moi, qu’on ne le peut pas, ou du moins qu’on ne le peut qu’en négligeant tout ensemble le facteur temps et le facteur espace, qu’en s’évadant du milieu civil, politique et moral qui nous est donné, qu’en sortant des réalités, auxquelles on ne fait pas violence impunément, et qui un jour vous rattraperont bien ; ce qui est absolument ne le pas pouvoir. A quelques degrés de plus vers l’Orient, et à une centaine d’années en arrière, on le pourrait encore peut-être ; mais nous, en deçà du 30° de longitude Est, et en 1900, nous ne le pouvons point ; et, s’il n’y a pour nous que cette solution, c’est que pour nous il ne saurait y avoir un autre « point de vue. »

Au surplus, ce n’est là que comme une sorte de question préalable,