Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/925

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en vérité, que le récit des « expériences » bibliques sur lesquelles il a fondé sa doctrine. Il n’y a pas jusqu’à sa Correspondance, française ou latine, dont le principal intérêt ne soit d’éclairer, par les renseignemens dont elle abonde, quelques points douteux, ou pour mieux dire, quelques intentions de l’Institution chrétienne ; et sa personnalité même, son caractère, le fond de sa pensée ne s’y révèlent point avec plus d’évidence que dans ce livre capital. Homo unius libri ! Pour connaître Calvin on n’a besoin que de l’Institution chrétienne ; et son œuvre française, en ce sens, est plus qu’une partie de son œuvre littéraire : elle est vraiment cette œuvre entière.

Si l’on voulait maintenant en préciser la signification, et la mettre à son rang dans l’histoire de notre littérature, on pourrait la comparer à l’œuvre de Rabelais, et, naturellement, on se défendrait, avant tout, de la ridicule tentation de vouloir les concilier.


Ante leves enim pascentur in æthere cervi !


L’eau et le feu ne diffèrent pas davantage. On ferait ensuite observer qu’en 1541, Rabelais n’ayant encore donné que les deux premiers livres de son Pantagruel, l’Institution chrétienne, par sa date, est donc le premier de nos livres que l’on puisse appeler classique. Elle l’est également, et bien plus que le roman de Rabelais, ou son poème, — par la sévérité de la composition, par la manière dont la conception de l’ensemble y détermine la nature et le choix des détails. Elle l’est, — par cette intention de convaincre ou d’agir qui, comme elle en est la cause, on fait le mouvement intérieur, l’anime de son allure ou de son rythme oratoire. Elle l’est encore, — par la gravité soutenue d’un style dont on a pu voir que la « tristesse » n’est pas le seul caractère. Elle l’est enfin, — pour cette « libéralité, » si je puis ainsi dire, toute nouvelle alors, avec laquelle Calvin y a mis à notre portée les matières qui ne s’agitaient jusqu’alors que dans les écoles des théologiens. Elle ne l’est pas moins pour le retentissement que la prose française en a reçu dans le monde. Mais l’est-elle aussi par sa convenance avec le génie français et par la nature de son inspiration morale ? C’est une autre question, qu’on ne saurait sans doute éviter, et par un rapide examen de laquelle je voudrais terminer cette étude.

Disons-le donc sans hésitation : puisque le monde avait perdu