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l’épicurisme rabelaisien ou de l’indifférence érasmienne. Et sans doute on ne saurait nier, et nous n’avons garde de nier que ce soit ici le triple fondement d’une morale très haute, très sévère, presque ascétique ! Mais qu’au lieu d’une « libération, » — dans le sens où l’entendent la foule et même les philosophes, — ce soit un nouvel asservissement de l’homme, et un asservissement plus étroit que l’ancien, c’est aussi ce qu’il faut bien reconnaître. Les vérités les plus dures de l’enseignement du christianisme, celles qui exigent de nous le plus de soumission, ou pour mieux dire, le plus complet dépouillement et la plus entière dépossession de nous-mêmes, bien loin de nous les adoucir, l’auteur de l’Institution chrétienne les aggrave. Liberté, nature, instinct, sous tous ces mots, Calvin ne voit qu’autant de suggestions diaboliques ; il leur a déclaré la guerre ; ce sont là les ennemis de Dieu qu’il s’agit d’anéantir à ses pieds ! Disons encore quelque chose de plus : il n’a pas la défiance ou la crainte seulement, il a vraiment la haine de la nature. La vie chrétienne, à ses yeux, n’est que le combat quotidien de l’homme contre lui-même, et l’existence ne nous a été donnée que pour travailler à détruire tout ce qu’on croit qui en fait la joie. Si l’Église a paru l’oublier, il est inspiré de Dieu, lui, Calvin, pour la ramener à l’objet de sa mission. Tous les moyens y seront bons, puisque l’intention en est pure, et, la pureté de ses intentions lui étant à lui-même garantie par son désintéressement, c’est ici que sa morale se complète par sa politique.

Omnis potestas a Deo. C’est encore le point sur lequel Calvin n’a jamais transigé. Sa politique est tout entière fondée sur les « propres paroles de l’Écriture sainte, » et sa méthode est celle qu’on reprochera si fort à Bossuet. Entendons-le plaider la légitimité de la peine de mort. Les rois, dit-il, sont les ministres de Dieu :


Ils ne portent point le glaive sans cause, dit Saint Paul, car ils sont ministres de Dieu pour servir à son gré, et prendre vengeance de ceux qui font mal (Rom., 13, 4). Certainement Moyse était ému de cette affection, quand, se voyant être ordonné par la vertu du Seigneur à faire la délivrance de son peuple, il mit à mort l’Égyptien (Exode, 2, 12 ; Act., 7, 28). Derechef quand il punit l’idolâtrie du peuple par la mort de trois mille hommes (Exode, 32, 27). David aussi était mené de tel zèle quand sur la fin de ses jours il commanda à son fils Salomon de tuer Joab et Semei (I, Rois, 2, 5). Dont aussi, en parlant des vertus royales, il met celle-ci au nombre, de raser les méchans de la terre afin que tous les iniques soient exterminés de la ville de Dieu